Après 5 semaines passées en Afrique du Sud, nous nous préparons à une remontée de l’Atlantique vers les Antilles. Cette navigation de 5500 milles peut facilement être fractionnée en étapes. La première, de Cape Town à Sainte-Hélène, fait 1700 milles. Il est ensuite possible de rallier le Nord-Est du Brésil directement (1800 NM)). Nous choisissons Cabedelo, proche de Recife pour faire escale. Il ne reste alors que 2100 milles pour atteindre la Martinique.
De Cape Town à Sainte-Hélène :
Ce passage a la bonne réputation d’être parmi les traversées océaniques les plus faciles. Il faut bien sûr quitter Le Cap avec une météo favorable afin de rejoindre le plus facilement la partie Est du célèbre Anticyclone de SainteHélène. Ensuite il n’y a plus qu’à le contourner par le Nord-Est en optimisant sa route au gré de l’évolution de la position du centre de haute pression. Dans l’ensemble, le courant est favorable sur l’ensemble du parcours et la mer belle la majorité du temps.
Noël passé, nous sommes prêts au départ, et dès le 28 décembre une fenêtre météo s’ouvre. Comme la suivante ne se dessine pas avant le 6 ou le 7 janvier, nous n’hésitons pas et la saisissons.
C’est donc en début d’après-midi du jeudi 28 décembre que nous quittons la marina du bassin Victoria & Alfred, franchissons les 2 ponts qui nous permettent d’accéder à la Baie de cape Town.
Nous hissons les voiles dans le dévent de la « Table Mountain », et mettons le cap au 310°. En nous éloignant de quelques milles, le vent de Sud-Est se renforce tout en restant assez irrégulier, car le relief de la péninsule du Cap influe sur le vent pendant plus de trente mille.
Vers 16h, il s’est stabilisé entre 20 et 25 noeuds. Comme c’est une première journée de mer après quelques semaines d’escale, je ménage mon équipage et navigue paisiblement sous 2 ris et solent. Nous avançons tout de même à plus de 10 noeuds sur le fond. La côte défile sur notre tribord, le fond de l’air est frais. Sur le pont, c’est veste de quart, bottes et bonnet de rigueur.
Arthur me tient compagnie sur le pont, nous apercevons une baleine à quelques longueurs sur notre avant bâbord. Le temps de saisir l’appareil photo elle se trouve à une trentaine de mètres sur bâbord et là stupeur, j’aperçois un baleineau droit devant à une longueur, pas le temps de s’écarter. Heureusement, il plonge juste avant et disparaît entre les coques! Moins d’une minute après, c’est un banc de baleines, comptant entre 30 et 50 individus, qui se trouve sur notre tribord à moins de 500m. Je me précipite sur la barre et me tiens prêt à effectuer une manoeuvre d’évitement. Nous passons à bonne distance et voyons le groupe plonger tour à tour sous la surface. Le spectacle est magique, mais la situation stressante, je m’en serais bien passé.
Au coucher du soleil, nous croisons ce qui s’apparente à une plateforme de forage auto-propulsée, se déplaçant contre le vent à 3 noeuds. La mer se forme sous l’effet du vent. Les conditions sont un peu plus musclées que ne l’annonçait la météo, mais la tendance prévue est à l’amélioration en milieu de nuit.
La nuit se passe bien, beaucoup de traffic car nous sommes sur la route des navire qui ont contourné l’Afrique et remontent vers l’Europe ou l’Afrique de l’Ouest. L’AIS m’indique leurs destinations : Rotterdam, Hambourg, Le Havre, Portsmouth, Abidjan, etc.
Le vent ayant mollit, nous larguons le 2° ris vendredi 29 au petit matin. La mer est maintenant peu agitée, aussi nous décidons d’envoyer le gennaker après le petit-déjeuner.
Il est agréable de sentir les conditions s’adoucir au fil des heures ; la mer devient belle en début d’après-midi et le ris restant est largué à 15 heures. Quel plaisir de glisser ainsi à 10 noeuds de moyenne. Pour parfaire le tableau, le soleil se montre de temps à autre et réchauffe agréablement l’air.
La deuxième nuit en mer s’annonce bien confortable, toujours du trafic mais des conditions de veille idéales, avec un joli clair de lune, tamisé par une couche d’alto-cumulus.
Le samedi 30 et le dimanche 31 décembre ressemblent à la veille. Toujours de belles conditions, assez peu de réglages car le vent est assez stable en force et direction. Dans la colonne « Observations » du livre de bord, je note « conditions parfaites », que demander de mieux pour terminer une belle année 2017? En cuisine, un bon diner se prépare et le Champagne est au frais!
Lundi 1er janvier 2018 : La nouvelle année commence avec les belles conditions de la veille. Les rayons du soleil viennent nous réchauffer et Moby glisse sur une mer parfaitement plate. Nous sommes en mer depuis 4 jours et avons très bien progressé. Nous remontons sur la face Est de l’anticyclone, en « rentrant » un peu dedans, comme le prouve l’augmentation régulière de la pression atmosphérique. De 1009 hPa au départ de Cape Town, elle est passée à 1018 hPa ce matin, soit 2 hPa de plus chaque jour.
Neuf heures du matin, c’est le moment d’empanner et de continuer tribord amure vers le Nord-Nord-Ouest. Nous hissons le spinnaker à 10h et le gardons jusqu’à 18h30. Il nous permet un meilleur angle de descente au vent, et est d’une stabilité incroyable dans ces conditions stables de mer plate, ne demandant guère plus d’attention que le gennaker. Mais pour cette nuit de pleine lune, nous préférons revenir au gennaker, car il est prévu que le vent augmente un peu. Bien nous en a pris car le vent gagne une bonne force en milieu de nuit, mais surtout, pendant quelques heures, la mer devient agitée, croisée, certainement sous l’effet d’un changement des courants de surface. Au lever du jour, la mer se calme aussi rapidement qu’elle ne s’était formée. Nous conservons néanmoins le gennaker car le bateau est toujours à plus de 9 noeuds sur une route qui me satisfait.
Le mercredi 3 et le jeudi 4 janvier, les conditions sont plus instables. Le vent présente des changement en force et en direction qui nécessitent quelques manoeuvres pour en tirer le meilleur parti. Sur ces 2 jours, nous empannons 5 fois et changeons le gennaker pour le spinnaker à 2 reprises.
Vendredi 5 janvier, nous ne sommes plus qu’à 256 milles de Jamestown, mais les caprices du vent nous obligent encore à 2 empannages. Comme il est difficile de choisir une option au vu de la volatilité des fichiers GRIB successifs, je préfère ne pas trop m’écarter de la route directe, quitte à manoeuvrer davantage. L’arrivée est proche, les conditions sont bonnes, une fois n’est pas coutume, nous conservons le spinnaker toute la nuit jusqu’au matin, où c’est au tour du gennaker de nous emmener à bon port.
Sous un ciel couvert de nuages gris et bas, nous apercevons l’ile de Saint Hélène à 11h. Nous la contournons par le Nord pour rejoindre le port de Jamestown. Nous prenons un des nombreux coffres dédiés aux bateaux de passage et filons à terre effectuer les formalités.
Cette traversée est certainement la plus simple que nous ayons effectué à ce jour ; elle n’a pas failli à sa bonne réputation auprès des navigateurs. La suite de la navigation vers le Brésil sera, espérons-le aussi agréable!
De Saint-Hélène au Brésil
La semaine d’escale à Sainte-Hélène, dans cet espace un peu hors du temps, à été apprécié de tout l’équipage mais le voyage continue et il est temps de se remettre en route. Comme souvent à la voile, il faut savoir saisir la bonne météo quand elle est au rendez-vous, tout comme la marée, elle n’attend pas! Pour cette traversée, le vent devrait se maintenir entre 10 et 20 noeuds car nous évoluerons au nord de l’anticyclone de Saint Hélène, entre ses hautes pressions et la zone de basse pression au sud de l’équateur. Plus que la force, c’est le bon angle de vent qu’il va falloir aller chercher.
Nous appareillons un peu avant le coucher du soleil, le vendredi 12 janvier. Alors que nous n’avons presque pas vu le soleil de la semaine, il apparait au couchant, illuminant de ses rayons la côte Ouest et les hauteurs de l’ile. La silhouette de l’ile disparait dans la nuit mais les lumières des hauts restent visibles plusieurs heures. Il faut dire que nous n’allons pas bien vite en ce début de traversée et peinons à nous sortir du dévent de l’ile, qui court sur une grande distance, comme c’est le cas de toutes les iles hautes. Il nous faut attendre minuit pour que le vent s’établisse à l’Est-Sud-Est pour une quinzaine de noeuds.
La nuit se passe, et au lever du jour, le 13, nous progressons vers l’Ouest entre 8 et 9 noeuds sous GV et gennaker. Le vent fraichit en fin de journée en prenant quelques degrés vers le Sud. Cela fait notre affaire et nous nous retrouvons à faire route directe vers Cabedelo. Le 1er ris est pris pour la nuit.
Même type de temps le dimanche 14, avec une tendance du vent à fraichir avant la nuit, qui nous décide à remplacer le gennaker par le solent pour la nuit. Le vent est assez instable jusqu’au matin, tant en force qu’en direction. Il se stabilise à nouveau au matin du 15, ce qui nous permet de renvoyer le gennaker à 8h. Pour quatre heures seulement car le vent se renforce vers midi, solent à nouveau et même un deuxième ris dans la grand-voile à 13h. Route à l’Ouest, Moby avance à près de 10 noeuds.
Le vent se maintient et nous gardons donc cette configuration de voiles jusqu’au lendemain (16) au matin. Le vent remonte vers l’Est, il va bientôt falloir empanner. Nous le faisons juste avant la tombée de la nuit. Comme le vent faiblit, nous larguons le 2° ris et hissons le gennaker, histoire de ne pas naviguer sous-toilé toute la nuit. Le vent reste soutenu toute la journée du 17 janvier, et nous progressons à plus de 10 noeuds de moyenne, en revanche notre route n’est plus directe vers la destination car le vent est passé au 105°. Notre gain sur la route reste malgré tout satisfaisant, avec 190 milles en 24h.
Les jours se suivent et se ressemblent un peu lors d’une traversée sous régime d’alizé. Le soleil est enfin au rendez-vous le 18, 19 et le 20 janvier : quelques manoeuvres pour suivre les fluctuations du vent, trois empannages pour en tirer le meilleur parti, rien d’autre à signaler.
3 jours de jolis couchers de Soleil :
Le 21, le vent faiblit à l’approche des côtes brésiliennes. Sa direction varie entre l’Est et le Sud-Est. Pas moins de 4 empannages au compteur ce jour! Je me dis parfois que j’en fais un peu trop, on n’est pas en course certes, mais j’ai plaisir à exploiter au mieux les caprices du vent.
A propos, pour les non-initiés, ça consiste en quoi un « empannage » sur Moby?
En navigation à voile, empanner consiste pour un voilier à changer d’amure (côté duquel le voilier reçoit le vent) en passant par le vent arrière ; un autre terme utilisé pour l’empannage (action d’empanner) est virement de bord lof pour lof, les lofs étant échangés (tribord pour bâbord ou inversement).
Concrètement, voici la procédure :
1- Le mât (qui est pivotant sur Moby) est ramené dans l’axe du bateau
2 – Le chariot de grand voile est également ramené au centre du bateau
3 – L’écoute de grand voile est bordée, d’autant plus que le vent est fort,
4 – Le changement de cap est amorcé au meilleur moment afin de minimiser le vent apparent, et de façon synchronisée, le gennaker ou le spinnaker sont choqués puis repris sur la nouvelle amure.
5 – Le chariot de grand voile est déporté sous le vent
6 – L’écoute de grand voile est choquée
7 – Le mât est orienté pour la nouvelle amure
La manoeuvre est terminée, il n’y a plus qu’à ajuster l’angle au vent, en fonction de la configuration de voiles, de la force du vent et de l’état de la mer, puis de régler les voiles. A deux, cela nous prend environ 5 minutes!
Malgré l’effort déployé à faire bien avancer le bateau, la baisse du vent a raison de notre vitesse. Nous ne parvenons pas à arriver avant la nuit et passons donc une nuit de plus en mer, à patienter en tirant des bords au large, avant de nous présenter au petit matin à l’entrée de Cabedelo.
L’entrée demande de l’attention car de nombreux récifs bordent le chenal d’accès à la lagune. Il nous faut faire ensuite plus d’une heure de moteur pour rejoindre la marina de Jacaré Village.
Du Brésil en Martinique:
Ce n’est normalement pas une traversée compliquée d’un point de vue stratégie météo. En fait, la navigation consiste à contourner le Nord-Est de l’Amérique du Sud, en longeant sensiblement le plateau continental, car c’est là que se trouve un courant favorable, plus ou moins régulier et qui court presque jusqu’aux Petites Antilles. Pour ce qui est du vent, avec le changement d’hémisphère, il faut traverser la zone de convergence intertropicale (ZCIT) entre les alizés de Sud-Est et ceux de Nord-Est. La bonne nouvelle, c’est que cette zone est bien moins étendue dans l’Ouest de l’Atlantique que plus à l’Est, où elle est plus connue sous le nom de Pot au Noir Cela n’empêche qu’il faut quand même la franchir avant de retrouver les alizés de Nord-Est.
Nous quittons la marina Jacaré Village, à Cabedelo le vendredi 26 janvier un peu avant midi. Le vent léger d’Est- Sud-Est est propice à une sortie de la lagune à la voile, ce qui est très agréable. Le moteur est tout de même requis pour la dernière partie du chenal très étroit qui s’étend de la sortie de la lagune jusqu’au niveau de la ligne de sonde des 10m, marque d’eaux saines.
Une fois dégagé de la côte, le vent souffle entre 10 et 12 noeuds, conditions idéales pour naviguer vers le Nord, sous grand voile haute et code 0. Nous croisons de nombreuses embarcations de pêche brésiliennes, les Jangadas. Ces bateaux traditionnels sont toujours utilisées par les pêcheurs. Les Jangadas sont très toilées et avancent vite avec élégance.
Nous avons au minimum 130 milles à parcourir vers le Nord avant le passage du Cabo Calcanhal. Nous avançons bien, près de 10 noeuds depuis le départ. Le solent a remplacé le code 0 vers 18h, car le vent est un un peu monté en refusant d’une vingtaine de degré. Nous croisons beaucoup de bateaux de pêche, parfois toutes les 5 à 10 minutes, il faut être vigilant. Nous passons le Cap Calcanhal de nuit, la zone de hauts-fonds s’étend bien au large, nous lui donnons donc un tour confortable avant de mettre le cap au Nord-Ouest.
Samedi 27 janvier : manoeuvre de voiles, à commencer par le code 0 qui est à nouveau hissé à 1h du matin car le vent est remonté vers l’est après avoir franchi le cap Calcanhal. Le spinnaker lui a succédé à 8h30, puis empannage à 13h30 et 17h30. La zone de vent est très étroite et il n’est pas question de s’en écarter. Nous aborderons la ZCIT ce soir, c’est ce que nous dit le dernier fichier météo reçu et c’est confirmé par l’image satellite. Cela on s’y attendait depuis le départ, en revanche, la mauvaise nouvelle est qu’elle devrait se décaler vers le Nord pendant au moins 48h, ce qui signifie que sa traversée sera plus longue que prévu initialement. Je me prépare au pire, pour ne pas être déçu.
Dimanche 28 janvier : la nuit a été plus tranquille que je ne le pensais, pas de grain et un vent d’une dizaine de noeuds dont la tendance est de revenir vers le Sud-Est. Nous sommes donc toujours bien au sud de l’équateur météo, autre nom donné à la ZCIT. Nous manoeuvrons toujours beaucoup, empannage à 6h45, Spi à 8h45, empannage à 15h et 17h30. Nous conservons le spinnaker à la tombée de la nuit, car il nous tire bien sur la route, mais nous devons l’affaler à 22h car un grain se profile à quelques milles derrière nous. A peine le spinnaker descendu et le vent est à plus de 20 noeuds, et le grain glisse finalement derrière nous, sans que nous n’en subissions l’averse. Le vent retombe après le grain, nous hissons et déroulons le code 0 à minuit.
Lundi 29 janvier : les prévisions et cartes météo confirment que la ZCIT s’est étendue vers le Nord, en tout cas la zone à fort développement nuageux s’étend jusqu’à 1° de latitude Nord, soit à peu près le niveau de l’embouchure de L’ Amazone. Le ciel est couvert ce matin, avec de nombreux grains. La bonne nouvelle du jour, c’est que la direction du vent a évolué au cours de la nuit, il semble s’établir entre le 080° et le 090°, l’angle au vent est donc parfait pour avaler les milles même si il ne souffle qu’à une dizaine de noeuds. Nous essuyons une demi-douzaine de grains dans la journée, avec beaucoup de pluie mais finalement peu de vent. Cela n’empêche que nous anticipons systématiquement leur arrivée et réduisons la toile au cas où. Toutes ces manoeuvres de voiles nous tiennent bien occupés.
Autre nouvelle du jour, nous franchissons l’équateur vers le Nord à 19h43. Nous naviguions depuis le 18 avril 2016 dans l’hémisphère austral.
Mardi 30 janvier : les milles défilent à toute allure mais nous ne sommes pas encore vraiment dans un temps d’alizé. Encore de nombreux grains, avec plus de vent que la veille. La grand voile est réduite au 1° et devant c’est l’alternance entre le code 0 et le solent. La mer est agitée et se superpose à une houle de nord, ce qui ne fait pas l’affaire du confort à bord, mais avec une journée à 250 milles, on ne va pas se plaindre.
Mardi 31 janvier : le vent est passé au Nord-Est, nous avons franchi la latitude 3°N. Le temps est toujours assez nuageux mais plus de trace de cumulonimbus à l’horizon. La route météo semble bien dégagée vers les Antilles. Nous évoquons un moment la possibilité de faire une courte escale en Guyane française, pour visiter au moins les iles du Salut et le centre spatial européen, car notre route nous fera passer devant demain. Finalement, nous décidons de continuer car le vent va beaucoup se renforcer les prochains jours et l’abri ne m’inspire pas trop. Peut-être aussi que je n’ai pas trop le coeur à pointer mes étraves dans les eaux côtières de l’Amazonie, riche en débris forestier en tout genre. Le souvenir de notre incident au sud de la Papouasie est encore bien ancré dans ma mémoire.
C’est sous GV 2° ris et solent enroulé à 4 tours que nous abordons la nuit. Le vent moyen n’est que de 22 noeuds, mais la mer est très agitée.
Lundi 1er février : c’est le cinquième jour de mer, nous sommes tous bien amarinés et heureusement, car c’est un peu le shaker à bord. J’ai beau réduire la vitesse, ça bouge dans tous les sens. Comme de coutume, Bénédicte assure le quart de début de nuit et je prends la relève à 1 heure du matin, jusqu’à l’heure du petit déjeuner.
Vers 5h du matin, alors que j’effectue mon tour dans le cockpit, j’aperçois un feu clignotant à moins d’un mille dans notre sillage. Je suis surpris, car rien n’avait attiré mon attention devant dans les minutes précédentes alors que j’étais assis au poste de veille de la table à cartes, d’où j’ai une excellente vision vers l’avant. Je prends donc les jumelles pour observer cette lumière. Elle est blanche, clignotante, et j’aperçois une lueur orangé dans l’éclat. Que cela peut-il bien être? Je pense à une bouée de long-liner, une bouée océanographique ou pourquoi pas un radeau de sauvetage? Un coup d’oeil de plus à la carte confirme qu’il n’y a rien faisant état de bouée dans les parages. Dans le doute, nous ne pouvons pas continuer à faire route, il faut se dérouter et tirer cette affaire au clair. Je réveille Bénédicte et Victor et nous virons de bord. Nous nous rapprochons vite de l’objet à la dérive, tout en gardant nos distances, l’un l’éclaire avec notre puissante torche pendant que l’autre le scrute aux jumelles. Il fait toujours nuit, mais il ne fait bientôt aucun doute qu’il s’agit d’un radeau de sauvetage.
Il nous faut maintenant nous rapprocher pour vérifier s’il y a ou non des personnes à bord. A bord de Moby, l’adrénaline a monté d’un cran, car nous nous lançons désormais dans ce qui s’apparente à une mission de sauvetage. Nous enfilons tous les 3 nos gilets de sauvetage, préparons les torches, prenons le 3° ris, roulons le solent, nous assurons qu’aucun bout ne traine à l’eau, avant de démarrer les moteurs. J’effectue une première approche, sous le vent du radeau, en gardant assez de distance car quelques bouts semblent flotter près du radeau. Dans le faisceau de nos projecteurs, nous éclairons le radeau, appelons en criant pour vérifier s’il y’a du monde à bord : pas de signe de vie. Nous nous rapprochons jusqu’à le toucher, et pouvons enfin inspecter l’intérieur, qui est vide. Le radeau semble en excellent état, il n’a visiblement pas été percuté il y a très longtemps. Nous scrutons l’horizon, dans les premières lueurs du jour, mais n’apercevons aucun bateau alentour.
Il est désormais temps d’appeler les secours, et de savoir s’il y a un bateau en détresse dans les parages. Loïc consulte les numéros d’urgence que nous avions enregistrés pour la navigation Atlantique sud. Je n’appelle pas le MRCC Brésil, de crainte de galérer à leur expliquer la situation. Le MRCC Guyane ne répond pas au téléphone. J’appelle donc le CROSS Gris Nez, qui centralise et assure la coordination des CROSS dépendants de la France dans le monde.
Je décris la situation et livre toutes les informations dont nous disposons. Le CROSS Gris Nez nous demande alors de faire une nouvelle approche du radeau pour y repérer un numéro de série. Entre temps, nous nous sommes laissé dériver, en maintenant un visuel sur le radeau.
Le jour s’est levé, Arthur et Anna se sont réveillés et observent l’opération depuis la carré. C’est alors que nous entendons une petite voix disant : « Papa, maman, je crois que c’est notre radeau qui dérive, car je vois qu’il a disparu du trampoline! »
En effet, notre radeau, qui est fixé dans son support, au niveau du trampoline, a disparu….. Grand moment de solitude dans nos esprits. Il ne fait aucun doute que c’est bien NOTRE radeau autour duquel nous tournons depuis 5h de matin…
De nuit, nous n’avions pas pu nous en apercevoir, et c’est la petite Anna, 6 ans, qui a résolu le mystère!
Nous sommes un peu ébahis, mais en même temps surtout soulagés de savoir qu’il ne s’agit pas de naufragés. Interloqués aussi de voir que dans l’enchainement des faits, nous n’avons pas pensé une seule seconde que ce pouvait être notre radeau.
Il nous reste maintenant à appeler le CROSS Gris-Nez pour les prévenir que personne n’est en danger et que le radeau est identifié, car c’est le nôtre….
Maintenant, tout n’est pas réglé, car le radeau est toujours à la dérive. La mer n’est pas belle, il y près de 2 mètres de creux.
Nous décidons quand même de tenter de « sauver » notre radeau en le remontant à bord, pour plusieurs raisons :
- la première, c’est qu’il nous apparait responsable de ne pas laisser un radeau dériver sur les mers : n’importe-qui le croisant pourrait penser à un naufrage, et s’inquiéter comme nous l’avons fait…
- la seconde, c’est que la mer est assez polluée pour ne pas y rajouter 60 kg de matière plastique, qui finiraient par s’échouer probablement sur les côtes sauvages d’Amazonie.
- la troisième, c’est que nous imaginons en le récupérant pouvoir le faire réviser au Marin en Martinique – ça nous éviterait d’en racheter un autre!
Nous manoeuvrons pour amener Moby bout au vent près du radeau. Nous amarrons un bout à la ligne de vie du radeau, puis frappons la drisse de spi sur ce bout afin de hisser le radeau. Nous devons nous y reprendre à deux fois afin de pouvoir vider les quantités d’eau qui avaient envahi le radeau, ainsi que les poches de stabilisation qui servent à ballaster le radeau.
Après 30 minutes, l’opération est un succès, le radeau est sur notre trampoline. Reste encore à le retourner, le vider complètement, et le stocker dans une des soutes.
Je découvre la cause du problème : il est dû à la rupture de la soudure d’un des pontets en inox sur lequel se fixe la sangle d’amarrage du container de radeau.
L’opération terminée, nous remettons le cap vers les Antilles. Le vent ayant encore un peu forci, nous sommes satisfaits de la vitesse de Moby et conservons le troisième ris. Assez manoeuvré pour le moment.
Cet incident nous amène à modifier le plan de navigation. Au lieu de viser Tobago, nous préférons rallier la Martinique afin de déposer le radeau dans une station de révision. Nous pourrons en louer ou s’en faire prêter un et redescendre ensuite vers les Antilles du Sud.
Mardi 2 février : nous avons encore engrangé plus de 240 milles dans la journée, malgré les 2 heures de stand-by à cause de l’épisode du radeau de survie. Sans cela, nous aurions dépassé les 260 milles et effectué notre meilleure journée de cette étape. Le temps typique d’alizés arrive aujourd’hui, le ciel se dégage et laisse juste de petits cumulus dans le bleu du ciel. Le vent baisse également, nous larguons le 3° ris à 7h et le 2° à 15h. A 20h, le 1° ris est largué, puis repris à 22h. Le vent est irrégulier en force pendant la nuit, nous naviguons parfois un peu sous-toilé.
Mercredi 3 février : le vent revient le matin et nous prenons le 2° ris que nous conserverons jusqu’à l’arrivée en Martinique. Les conditions sont agréables car la mer s’est bien ordonnée depuis 24 heures. Nous croisons quelques cargos, ainsi que des bateaux de pêche. Le compte à rebours est enclenché, à 21h nous ne sommes plus qu’à 233 milles du Port du Marin. Encore du traffic dans la nuit, dont un cablier qui nous demande de passer au minimum à 5 milles de lui, ça me parait beaucoup, mais je coopère naturellement. Moins d’une heure plus tard, un navire sans AIS sur notre route, assez gros, qui éteint tous ses feux alors que nous passons environ à 2 milles de lui, bizarre!
Jeudi 4 février : il ne reste plus que 125 milles à faire à 9h, l’arrivée est donc pour ce soir, à la nuit certes, mais cela ne pose pas de problème, nous irons passer la nuit au mouillage de Sainte-Anne. Nous passons au vent de la Barbade, croisons quelques bateaux de pêche. Le temps passe vite la dernière journée, en particulier lorsque l’on se rapproche de l’arrivée à 10 noeuds de moyenne, comme c’est le cas.
Joli coucher de soleil sous un grain à l’approche du canal de Sainte-Lucie, puis nous passons au sud de l’ilet Cabri et arrivons à 21 heures à l’entrée de Sainte-Anne.
Nous gagnons le mouillage au moteur, à petite vitesse car l’accès est truffé de bouées de casiers, qu’il ne faudrait pas se prendre dans les hélices. Un gros grain de pluie, vient masquer la lune, mais procure à Moby un rinçage bien mérité, après tous ces milles parcourus sous les embruns.
Marc says:
Même pour un matin d’eau douce comme moi c’est passionnant !!! Merci !!!
Laetitia Guevel says:
Captivant !..On s’imagine à bord, comme toujours.
Bises À moby family
Ollivier B. says:
Excellent cet enchaînement des 3 étapes de l’Atlantique sud !!! Et le coup du radeau…:-)
Bises à Moby 🙂
Bénédicte says:
Je vois que tu es un lecteur attentif, Ollivier, et que tu lis nos posts jusqu’au bout… L’histoire du radeau est savoureuse, non? Bises de tout l’équipage.
Helies says:
Hello l’equipâge
Reportage top
Vous êtes de retour en Bretagne bientôt, après l’escale aux Acores Portugaises avez-vous prévu d’autre stops ?
J’espere vous revoir bientôt
Bonne navigation
Eric ton cousin Breton
Bénédicte says:
Salut Eric, serons de retour début juillet, et de rester naviguer en bretagne tout juillet. A très bientôt, et au plaisir de te revoir cousin.