Traversée de l’Océan Indien-3

Réunion-Afrique du Sud

Presque deux mois d’escale aux Mascareignes, où nous avons fait de belles navigations, et passé des moments forts. Nous aurions aimé en profiter encore un peu plus mais le temps passe et il nous faut quitter la zone avant le début de la saison cyclonique, qui débute officiellement le 1er décembre.

J’ai profité de cette escale pour faire le tour complet du bateau et rectifier les petites choses différées depuis quelques mois. Avec l’aide précieuse d’Hervé Laurent ( ancien Coureur de Vendée Globe maintenant installé à Maurice comme gréeur), le gréement à été inspecté en détail. J’ai aussi changé tous les chariots de rail de grand-voile, dont le jeu était devenu excessif après 30 000 milles. Je comptais déjà le faire aux Seychelles mais le colis s’était perdu en route entre la France et les Seychelles! J’ai aussi profité de notre escale pour revoir la liaison de 2 profils d’enrouleur de solent, qui pour la énième fois montraient des signes de faiblesse.

Moby est donc fin prêt pour cette traversée entre l’île de la Réunion et l’Afrique du Sud. Nous allons quitter les latitudes tropicales pour une région connue pour ses changements de météo rapides et pas toujours prévus. Un bateau techniquement à 100%, ça permet d’aborder plus sereinement la navigation!

C’est le printemps austral sur la zone. La température de l’eau dans la partie centrale de l’Indien est inférieure aux moyennes saisonnières, pas trop de risque donc de voir un système tropical se former. Plus au Sud, les anticyclones se succèdent, leurs centres aux alentours de 30°-35°Sud, se déplacent vers l’Est. Plus au Sud encore, les dépressions des 40ème et 50ème avancent aussi. Les fronts associés à ces perturbations, en particulier les fronts froids, remontent  souvent vers les latitudes où nous allons naviguer vers l’Afrique du Sud. Même en étant rapide, il est fort probable d’avoir à traverser un de ces fronts sur ce parcours. Il convient donc de planifier le départ afin de négocier le front au mieux. Je ne m’étendrai pas sur un topo météo de la zone, ce serait assez long. Ceux que la météo intéresse trouveront matière à apprendre sur les sites météo de la zone. Un très bon résumé existe aussi dans l’ouvrage « Routes de grandes croisières » de Jimmy Cornell que je recommande vivement.

Le timing est donc essentiel pour cette traversée de 1 400 milles, contournant Madagascar par le Sud. L’impératif absolu est de ne pas arriver sur les côtes sud-africaines par vent fort de Sud-Ouest, car quand le vent s’oppose au courant des Aiguilles, les conditions de mer deviennent vite très dangereuses.

Cette note sur les cartes incite pour le moins à la prudence :

« Abnormal waves, up to 20 metres high, preceded by a deep trough, may be encountered off the east coast of South Africa between the latitudes 29°S and 33°30’S, mainly up to 20 miles seaward of the continental shelf; see Admiralty Sailing Directions » .

Mise en garde

Ceux qui ont déjà vu les effets d’un vent même modéré contre un fort courant pourront imaginer l’effet sur l’état de la mer d’un vent de seulement 25 à 30 noeuds soufflant contre le courant des Aiguilles qui dépasse souvent les 5 noeuds. La différence ici réside dans le fait que l’étendue de cette veine de courant permet la formation et la propagation des vagues, à la différence d’un raz par exemple qui est de taille limitée. Nous n’aborderons donc cette zone que dans des conditions satisfaisantes, quitte à devoir attendre loin au large, là ou le courant est plus faible.

A compter du 7 novembre, nous sommes en stand-by à Saint-Pierre, Réunion, et surveillons quotidiennement la situation météo, dans l’attente d’une fenêtre de départ. La navigation dans ces zones de transition entre le régime des vents du climat tropical et celui des latitudes plus tempérées est intéressante. Il s’agit de tirer le meilleur d’un système pour aborder la zone de transition à l’endroit et au moment optimum pour la traverser efficacement et confortablement. Les logiciels de routage sont d’une aide précieuse à la prise de décision, à condition bien sûr de connaitre les limites de ces systèmes dont les calculs se basent sur les performances théoriques du bateau, les prévisions météorologiques et mêmes les courants océaniques. Sur Moby, j’utilise les services de PredictWind, logiciel bien adapté et très simple d’utilisation. L’avantage de PredictWind par rapport à d’ autres logiciels, c’est qu’il ne requiert pas le téléchargement de gros fichiers grib, car le calcul de routage est effectué à distance par un ordinateur puissant relié à une base de données météo qu’il serait impossible de récupérer par liaison satellitaire. Pour cette traversée, j’ai pris la météo 2 fois par jour en moyenne et fait tourner un routage toutes les 6 heures. Nous sommes arrivés à Richard’s Bay avec 2 heures d’avance sur l’ETA du routage initial, calculé une semaine avant. Précision ou hasard? Un peu des deux certainement.

Tableau résumé des routages en fonction du moment de départ

A partir du 10-11 novembre, la situation générale laisse entrevoir une possible fenêtre de départ en milieu de semaine. Nous pourrions profiter de la fin du passage de l’anticyclone dans le Sud des Mascareignes pour filer jusqu’au Cap Sainte-Marie, au Sud de Madagascar. C’est là que nous traverserions le front puis pourrions continuer dans le canal du Mozambique et arriver à destination avec environ 24heures d’avance sur l’arrivée d’un front amenant de forts vents de Sud-Ouest. La marge n’est pas grande, compte tenu de la précision des prévis météo, mais je l’estime suffisante et attendre plus longtemps ne garantirait aucunement de meilleures conditions.

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Nous larguons les amarres de Saint-Pierre, Réunion, le 14 novembre en milieu d’après-midi. Le temps est couvert, avec un vent d’Est-Sud-Est de 20 noeuds et une mer agitée. La particularité de Saint-Pierre est que par vent de Sud-Est, à peine la jetée du port franchie, on se retrouve dans des conditions océaniques musclées, sans sas d’acclimatation. Sous GV-2ris et solent, nous marchons entre 9 et 10 noeuds sur le fond sur une route légèrement plus Sud que la route directe, en anticipation de la rotation des vents au Nord-Est prévue le lendemain. Nous reprenons vite nos habitudes de navigation au long cours.

Le vent faiblit sensiblement dans la nuit et au lever du jour le 2° ris est largué. Nous croisons un cargo d’assez près, cette route maritime est très fréquentée et nous avons presque constamment un navire ou deux sur notre écran AIS.

Croisement dans le soleil levant

A midi, le gennaker vient prendre le relais du solent devant, le ris est largué et le vent amorce sa bascule vers l’Est-Nord-Est. Notre trajectoire s’infléchit vers le Sud en attendant le moment optimum pour empanner. Nous sommes dans de belles conditions pour cette deuxième journée en mer, la soirée et la nuit sont agréables et nous profitons des tropiques pour quelques heures encore.

A 1 heure du matin, il nous faut empanner car nous pouvons désormais faire route vers le Sud de Madagascar tribord amures. A 150° du vent, nous progressons à environ 7 noeuds dans 10-12 noeuds de vent. Au matin du 3° jour, le vent de Nord-Est reprend un peu de force et nous glissons paisiblement vers le cap Sainte-Marie.

Tribord amure sous gennaker après la rotation du vent au Nord-Est

Il se renforce graduellement tout au long de la journée, nous obligeant à réduire un peu la toile. Nous attendons entre 20 et 25 noeuds pour la nuit,  le gennaker est affalé en milieu d’après-midi, puis nous prenons successivement le 1° puis le 2° ris à 20h afin de ne plus devoir manœuvrer cette nuit.

Au lever du soleil le 17 novembre, nous sommes à une vingtaine de milles au sud de Tolanaro (Fort Dauphin), le vent est toujours avec nous pour quelques heures, aidés par un courant favorable, nous sommes constamment à plus de 11 noeuds sur le fond. Le temps est couvert de nuages bas, cette masse nuageuse est associée au front de la dépression passant dans notre Sud. Le baromètre, qui chutait régulièrement depuis 36 heures se stabilise, ce qui confirme le phénomène.

Bonne glisse à l’approche du Sud de Madagascar

 

Les Côtes élevées de Madagascar, région de Fort Dauphin, à 20 milles

Comme prévu par la météo, le vent se met à mollir rapidement vers 9h. Il se stabilise à moins de 5 noeuds, je n’hésite pas une minute et démarre un moteur pour continuer de progresser à 5-6 noeuds vers l’Ouest. En effet, quand le vent rentrera au passage du front, il s’établira au secteur Ouest-Sud-Ouest. Chaque mille gagné est important car nous serons alors au près serré bâbord amure et il nous faudra parer le cap Sainte Marie.

Image satellite montrant la dépression au sud et le font que nous allons traverser aujourd’hui

Les baleines sont fréquentes dans les parages, nous en voyons quelques-unes

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Vers 14h, c’est l’arrivée du vent de Ouest-Sud-Ouest, la grand voile est réduite au 2° ris et quelques tours dans le solent nous permettent une route au 280° qui pare le Cap Sainte-Marie et ses dangers. La mer est très plate pour le vent qu’il y a, mais je sais que ça ne durera pas bien longtemps.

Bascule et augmentation rapide du vent au passage du front

La bonne nouvelle c’est que le vent s’oriente assez vite au Sud-Ouest et même de façon intermittente au Sud-Sud-Ouest. Cela nous permet de naviguer à 60°-70° du vent avec assez de puissance pour bien avancer. Nous sommes soulagés de passer à 15 milles dans le Sud du Cap Sainte-Marie, et de pouvoir continuer notre progression vers l’ouest. Encore une cinquantaine de mille et avant la fin de la nuit tous les dangers du Sud de Madagascar seront derrière nous. Le premier obstacle de cette traversée exigeante est passé. La météo à été d’une précision remarquable ces trois derniers jours, et les derniers fichiers reçus vont dans le sens des prévisions du départ. Avec 700 milles restant et un peu plus de trois jours avant Richard’s Bay, les différents routages associés aux modèles météo prévoient notre arrivée avec 6 à 20 heures d’avance sur le mauvais temps. Pour une fois nous allons mener Moby au maximum de ses possibilités, de jour comme de nuit.

Relevé de nos positions dans le canal du Mozambique

Au matin du 18 novembre, les nuages ont laissé la place à un joli ciel bleu. Les 2 ris sont largués successivement à 6h puis 8h. Le vent est au 200° pour 12 noeuds, puis baisse un peu et le code 0 est envoyé, pour deux heures seulement car le vent forcit un peu en début d’après midi. Le premier ris est pris un peu après, puis largué une heure plus tard. Chaque noeud de vitesse est à prendre et on ne rechigne pas à la manœuvre quand il le faut. Le vent continue sa lente rotation et est au Sud en fin d’après midi, à une quinzaine de noeuds. Moby file au vent de travers, la mer est très belle, avec une longue houle de Sud-Ouest qui nous arrive sur l’avant bâbord, ce sont des conditions idéales de navigation. Ce qu’il y a d’appréciable avec un vent de travers, c’est cette garantie de vitesse, même si le vent fluctue un peu en force et direction, ça avance toujours bien.

Coucher de soleil dans le canal du Mozambique

Dans la nuit, le vent continue sa rotation et s’établit au Sud-Est. Le gennaker est hissé dès les premières lueurs de l’aube et toute la journée du 19 novembre, nous nous battons contre le Moby virtuel de notre routage, avec un léger avantage pour le Moby réel. Le vent continue sa rotation vers l’Est, nous obligeant à nous éloigner de la route directe avant d’empanner. Je suis impressionné par la précision de la météo dans ce vent évolutif, aussi juste que la précision de mesure des instruments du bord. Le vent est prévu de continuer sa rotation vers le Nord-Est dans la nuit du 19 au 20, nous pourrons alors faire route tribord amure vers notre destination.

Victor est hissé dans le mât par repasser la drisse de pavillon

Détente après l’effort pour Victor

 

Il nous faut contourner la zone de calme et empanner assez près du centre de haute pression

Le 20 à 5h15, nous empannons. Le vent est au 060°/15KT. Nous commençons à sentir un courant traversier, c’est le début du courant des Aiguilles, même si nous sommes encore loin de son axe principal. Il nous reste 230 milles à parcourir. La météo prévoit le renforcement du vent en soirée et la nuit prochaine, du Nord-Nord-Est entre 30 et 35 noeuds. C’est en effet ce qui arrive à partir de 16 heures, le vent qui était stable à 15 noeuds depuis le matin forcit légèrement. Cette fois plus question de pousser Moby, car notre arrivée est assurée avant le passage du front et la bascule au Sud-Ouest du vent. Nous roulons et rangeons le gennaker, puis prenons le 1° ris. Puis c’est au tour du 2° ris puis du 3° ris lorsque le vent passe les 25 noeuds. Nous sommes prêts pour le sprint final vers Richard’s Bay.

Haut de Force 7 et 5 noeuds de courant traversier

Les conditions de la nuit, avec quelques rafales proches de 40 noeuds, nous confortent d’avoir anticipé la prise du 3° ris. Le courant est traversier pour 4 noeuds, dans le sens du vent, mais la mer est courte et grossit bien vite. J’imagine bien les conditions de mer extrême qu’un tel vent opposé au courant pourrait engendrer.

Conditions musclées à l’approche de l’Afrique du Sud

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Le 21 à 8 heures, nous approchons de Richard’s Bay, le vent a baissé et souffle à un peu plus de 25 noeuds. Le trafic maritime est important et une trentaine de navires marchands sont à l’ancre devant l’entrée du port. Il nous faut patienter presque 2 heures avant d’obtenir l’autorisation du contrôle portuaire de nous engager dans le chenal d’entée menant à la marina de Tuzi Gazi.

Arrivés dans la lagune, le vent monte de 10°C de température, on se croirait dans le souffle d’un sèche-cheveux

 

Heureux d’arriver à temps!

Le vent de Nord-Est faiblit comme prévu dans la soirée et des orages annonciateurs du front arrivent par l’Ouest. Dans la nuit, je suis réveillé par les rafales du vent de Sud-Ouest qui souffle dans la mâture. Moby est bien amarré au quai, nous pouvons dormir tranquille.

Trace de la navigation Saint Pierre-Richard’s Bay

Richard’s Bay- Cape Town

Cette navigation de près de 900 milles le long de la côte d’Afrique du Sud n’est pas réputée facile pour 3 raisons principales : 1- Le manque d’abri où se réfugier par mauvais temps 2- Le courant des Aiguilles qui fait lever une mer dangereuse par vent de Sud-Ouest 3- La météo rapidement changeante, parfois violente par des phénomènes amplificateurs d’origines diverses : Caps, relief, orages…

Les fronts se succèdent à un rythme soutenu, parfois tous les 2 ou 3 jours seulement, entrainant une saute rapide du vent du NE au SW, en l’espace de très peu de temps. La façon la plus classique d’effectuer ce passage consiste donc à procéder par étapes en s’appuyant sur les 4 ports de replis possibles de Durban (85NM), East London (250NM), Port Elisabeth (120NM),  Mossel Bay (200NM) avant de rejoindre Cape Town (240NM).

Comme tous les skippers qui effectuent ce passage réputé délicat, je me suis bien documenté et la littérature est abondante sur le sujet. La mauvaise réputation de cette zone invite à la prudence et je passe beaucoup de temps à étudier les informations météo de toutes les sources accessibles.

Il apparait que cette année, la fréquence de passage des fronts soit anormalement élevée pour la saison. Cela se traduit par des fenêtres de traversée plus courtes, de l’ordre de 24h environ, voire moins si on enlève le temps de la transition où le vent faible ne permet pas de bien avancer. Les fichiers de vent affichent également une volatilité élevée et il est surprenant de voir l’ampleur des variations à H+24 ou H+36 entre 2 fichiers issus à 6 heures d’intervalle.

Il y a près d’une vingtaine de voiliers à Richard’s Bay qui attendent comme nous le moment opportun pour se lancer. La météo est donc le sujet numéro 1 sur les quais et les pontons de Tuzi Gazi. Chacun a son idée, et beaucoup font appel aux services de routeurs météo pour cette navigation.

A ce jeu, à partir du 23 Novembre, j’entrevoie une possibilité de départ le mardi 28. Nous commençons donc à nous préparer pour saisir cette opportunité. Cela est vite fait car le bateau est à 100%, rien à faire donc de ce côté, juste quelques courses pour Bénédicte et les formalités pour moi, car en Afrique du Sud, c’est la totale niveau formalités à chaque escale : Bureau du Port, immigration, douane, santé et police, pas moins! Nous faisons tout cela le lundi matin.

La courte fenêtre qui s’entrouvre ne convainc pas tout le monde, nous ne sommes que 3 bateaux à y croire. Mon optimisme me dit dit que nous pouvons certainement rejoindre East London qui se trouve à 335 milles, les 2 autres espèrent juste rallier Durban et y attendre le prochain train météo.

Il fait toujours nuit quand nous quittons le Quai de Tuzi Gazi, un peu avant 5 heures du matin, le mardi 28 novembre. C’est un grand jour car Victor fête aujourd’hui ses 14 ans. Nous sortons du port et hissons la grand voile dans le long chenal qui mène à l’océan. Le temps est calme, il ne subsiste du mauvais temps de Sud-ouest de la veille qu’une longue houle venant se briser sur les jetées. Une fois dehors, la surface de l’eau se ride avec quelques noeuds de vent de Nord. Le courant nous est favorable, ce qui nous permet, sous GV et gennaker de progresser à plus de 6 noeuds.

Nous slalomons entre les nombreux cargos à l’ancre, si nombreux qu’ils s’étalent sur plus de 10 milles vers le Sud de Richard’s Bay. Nous distançons très vite les 2 monocoques partis avec nous. L’un d’entre eux n’est autre que ARIEL IV de nos amis suédois Erik et Birgitta, rencontrés en Indonésie et à Cocos Keeling.

Comme prévu, le vent se renforce graduellement en évoluant un peu vers le Nord-est. Il souffle à 14 noeuds à 8h, puis au fur et à mesure qu’il fraichit, nous adaptons la voilure. A midi, le vent est du Nord-est pour 25 noeuds. Le 1° ris est pris à 9h30, le gennaker  rangé à 10h et la GV a été réduite à 2 ris à 11h30. Aidé par le courant des Aiguilles, Moby ne descend jamais à moins de 12 noeuds sur le fond. Les milles défilent et nous avons dépassé Durban avant 13h, soit plus de 10 noeuds de moyenne, malgré le temps calme des 3 premières heures.

Moby au large de Durban, traffic AIS important

Le ciel gris du matin a cédé la place au grand ciel bleu. J’ai repris une météo à midi, qui me conforte dans l’idée que le prochain front ne sera pas trop fort, en particulier à l’endroit visé pour le franchir, à environ soixante milles des côtes. Le but est donc d’aller le plus vite vers le Sud, pour 2 raisons : la première c’est que le front sera plus actif à mesure qu’il progresse vers le Nord, et deuxièmement, lors de son passage et de la bascule des vents au Sud-Sud-Ouest, plus on est au Sud et plus la côte s’incurve vers l’Ouest, facilitant la progression bâbord amure.

J’effectue un suivi précis du temps rencontré que je compare aux prévisions, ainsi que de notre progression par rapport au routage. Tout est en ordre, pas de décalage à signaler. En fin de journée, les nuages annonciateurs du front à venir sont visibles à l’horizon. Le vent commence à baisser lentement mais sûrement et amorce une rotation à gauche. A 20h il est au 035°/20KT, à minuit 000°/12KT. Les ris ont été largués, en revanche, nous conservons le solent et décidons de ne pas envoyer le gennaker car nous serons bientôt au près.

Le 29 novembre à 3 heures du matin, le vent a disparu, plus un souffle. Je démarre un moteur et fais route au 210°. A 4h, la bascule est bien là, vent au 230°/05KT et aux premières lueurs du jour il continue sa rotation à gauche et souffle au 230°/18KT. La mer est hachée, inconfortable, mais la bonne nouvelle c’est que le vent a une orientation plus favorable que prévu, de l’ordre de 20°, et il est aussi un peu moins fort de quelques noeuds. Cela nous permet de bien progresser, sous GV 2 ris et solent, presque en route directe vers East London. A midi, l’évolution favorable du vent se poursuit en passant au sud pour 12 noeuds.Le 2° ris est largué. La mer du matin s’en est allé plus loin et Moby passe en douceur, de plus le courant nous est favorable en nous accélérant et en nous dépalant au vent ; pas de quoi se plaindre. A 16h, nous sommes à 69 milles du port d’East London, le ris restant est largué. Le vent continuant d’adonner, le code 0 est envoyé à 21h. La nuit se déroule bien, les milles défilent à près de 10 à l’heure, seule une houle de face est à déplorer. La météo du soir est sans faille, nous pouvons continuer vers Port Elisabeth.

Trace des 3 premiers jours, le passage du front à lieu au large de la zone de courant fort

Le 30 novembre, au lever du jour, la brise a encore faiblit et vient de l’est pour moins de 10 noeuds. Le gennaker vient remplacer le code 0. La mer est particulièrement inconfortable lorsque nous passons devant Port Elisabeth vers 8 heures du matin et je m’acharne à essayer d’empêcher les voiles de battre. Malgré tout, grâce au courant, nous sommes à 9 noeuds sur le fond. Le vent doit se renforcer dans l’après-midi et remonter vers le nord-est, une étape supplémentaire est franchie et nous avons désormais Mossel Bay en ligne de Mire à 200 nautiques de nos étraves. Empannage TB à 15h30, 1°ris à 16h, encore un empannage BB à 17h30, gennaker affalé à 18h et un empannage de plus TB à 19h30, on ne s’ennuie pas à bord de Moby aujourd’hui.

La nuit arrive mais les manoeuvres ne s’arrêtent pas pour autant. Cette fois c’est pour éviter un cargo qu’il nous faut empanner, puis revenir sur l’amure de départ une fois le croisement effectué. Comme le vent mollit, nous hissons le gennaker à 3h du matin.

Le 1er décembre à 8h du matin, alors que nous ne sommes qu’à 38 milles de Mossel Bay, le vent tombe complètement, calme plat, plus une ride sur l’eau. Une zone de calme était bien prévue quelques milles plus au nord. Etant donné notre position, les prévisions auraient du nous donner quelques noeuds pour avancer. De plus, le courant des Aiguilles nous a lâché, il s’en est allé vers le Sud, assez loin de la côte. Il nous faut donc faire appel à notre code V, comprenez V comme Volvo, notre bon sauveur ce matin. Alors que nous avançons tranquillement au moteur vers Mossel Bay, j’en profite pour passer du temps sur la météo. Je lance plusieurs routages et je regarde en particulier quand nous pourrons repartir après le passage du front et des vents de SW prévus demain. Nous devrions rester au moins 36 heures, puis dès l’épisode de vents contraires, il faudra se dépêcher car les vents seront certes portants mais augmenteront très vite pour atteindre 50 noeuds à compter de lundi midi sur Cape Town, le très célèbre « South-Easter ». En plus cet épisode devrait durer quelques jours et s’étendre vers l’Est de la région, jusqu’à Port Elisabeth, avec des fichiers grib à 50 noeuds et des vagues de 5 mètres ou plus sur toute la zone!

Vers midi, nous ne sommes qu’à une quinzaine de mille de Mossel Bay quand un souffle d’air vent du Sud vient rider la mer d’huile de ce matin. En une trentaine de minute, cela devient une petite brise, probablement d’origine thermique, complètement inattendue. J’ignore combien de temps cela va durer, mais je me dis qu’on peut tenter d’en profiter, en faisant route vers le Cap des Aiguilles. Je me fixe un point de non retour (PNR) à une trentaine de milles devant nous, avant lequel il nous faudra nous engager dans l’une ou l’autre des options : Continuer vers Cape Town ou rebrousser chemin et revenir vers Mossel Bay.

Sous grand-voile et gennaker, notre progression est incroyable dans ce petit temps. Ce sont des conditions que Moby affectionne, une mer plate et une dizaine de noeuds de vent bien orienté. Nous sommes à 9 noeuds de moyenne sur le fond. Alors que nous approchons vite du PNR que je m’étais fixé, il ne fait pas de doute que l’option de continuer est possible. A 16h, Le Cap Agulhas est à 95 NM dans nos étraves.

Passage du Cap des Aiguilles

Nous décidons donc de poursuivre vers Cape Town avec le plan suivant en tête : avancer au plus vite en tirant parti de cette brise côtière. Lorsque qu’elle disparaitra, faire route au moteur et aller à la rencontre du front, que nous devrions atteindre samedi midi, et plus très loin de False Bay. J’ai aussi regardé avec soin les 2 petits ports de Stilbaai et Struisbaai, protégés des vents d’Ouest. Ils pourraient nous servir d’abris si le vent de Sud-Ouest arrivait plus tôt et plus fort que prévu.

C’est la troisième fois qu’un changement tactique intervient sur cette navigation. Il me semble que la flexibilité soit plutôt bienvenue dans cette région afin de s’adapter constamment à la météo changeante.

C’est vendredi, nous croisons beaucoup de petits navires de pêche côtière qui rentrent vers Mossel Bay. La zone est certainement très poissonneuse, si j’en juge pas l’activité constante des oiseaux et les nombreux phoques que nous croisons. La côte n’est pas très loin, seulement 2 milles par endroit. La bande de vent ne semble pas s’étendre très loin vers le large.

Le soleil se couche, je m’attends à voir le vent tomber d’un instant à l’autre mais même si il faiblit un peu, il reste suffisant pour nous mouvoir plus vite que nous le pourrions au moteur. En plus nous avons un joli clair de lune, c’est agréable. Seul bémol, la température commence à baisser, l’air et l’eau ne sont qu’à 16°C cette nuit. La légère brise nous accompagne jusqu’à 5 heures du matin et disparait complètement au lever du soleil. C’est donc au moteur que nous passons le Cap Agulhas le 2 décembre à 5h30 du matin. « Au revoir » l’Océan Indien, « Bonjour » l’Océan Atlantique, car c’est en effet ici que la séparation des géographes prend place.

Les calmes sont prévus de durer jusqu’à midi, il nous faut en profiter pour gagner un maximum de milles route plein Ouest. Cela nous écarte de la côte et nous place dans une bonne position pour l’arrivée du front. Il est 11h lorsque la mer se ride au Sud-Ouest. En l’espace de trente minutes il forcit à plus de 20 noeuds. Nous prenons le 1° puis le 2° ris assez vite. Lorsque le vent rentre, il ne sert à rien de retarder la réduction de voilure, c’est notre façon de faire. La direction nous surprend plus que la force. En effet, nous attendions un vent de Sud-ouest et il est à l’Ouest, cela va nous imposer de tirer des bords pour rejoindre False Bay ou passer le Cap de Bonne Espérance. Bâbord amure, nous faisons d’abord route vers False Bay, parons le cap Danger Point, dont le nom n’est pas très rassurant et progressons vers le Nord-ouest. Nous passons à cinq mille d’Hermanus et virons de bord devant Sandown Bay. Le relief semble accélérer le vent et la mer se fait courte, nous prenons le 3° ris, le bateau peine à bien avancer dans ces conditions et notre gain au vent est misérable, entre 3 et 4 noeuds de VMG, mais l’important est de progresser sans malmener Moby. Il est presque 18h lorsque nous doublons le cap Hangklip. Les conditions se sont stabilisés et le vent est maintenant au 300°. L’abri relatif de False Bay, le fetch ne dépassant pas 20 milles, est le bienvenu.

Louvoyage et courant contraire pour franchir le Cap de Bonne Espérance

 

22H30, Moby passe le Cap de Bonne Espérance

Je considère que le plus gros du front est passé et que les conditions vont aller vers une amélioration. Le vent continue sa rotation à droite, il est maintenant au 330°et nous permet de traverser False Bay tribord amure en direction du Cap de Bonne Espérance. Nous le franchissons à 22h30. Il nous reste 35 NM avant Cape Town. Comme le vent a fini par tourner plein Nord, cela signifie du louvoyage pour la nuit, mais nous ne sommes pas pressés, car il ne sert à rien d’arriver avant le jour. Nous naviguons sous-toilé toute la nuit. Le temps est nuageux, plafond bas, bruine et brume mêlées, point de clair de lune ce soir, elle est cachée par cette nébulosité. Il fait moins de 15°C et la mer n’est plus qu’à 14°C, changement de décor, mais le moral est au plus haut à bord, car tous les challenges de cette navigation sont désormais dans notre sillage.

Le vent mollit toute la nuit et les ris sont largués avant l’aube. La côte est proche mais invisible, cachée par un rideau de brume. Par moment, la visibilité est inférieure à 1000m sous une bruine dense. En se rapprochant de la ville, le plafond se lève un peu et nous permet d’apercevoir la côte et la colline de Lion’s Head. Nous affalons les voiles et préparons notre arrivée. C’est dimanche aujourd’hui, il est 8h, il y a peu de traffic et la permission de franchir l’entrée du port nous est de suite accordée. J’ai tant trainé sur les quais du Waterfront de Cape Town lors de mes escales aériennes que l’entrée dans ce port, pourtant complexe, me semble familière. Nous contournons la longue jetée, entrons dans le Victoria Basin, contactons l’opérateur du pont tournant « Clock Tower Bridge » pour pénétrer dans l’Alfred Basin, puis l’opérateur du « Bascule Bridge » qui nous informe que seule une moitié de pont peut s’ouvrir ce matin, pour raisons techniques. Cela laisse moins de 10m de largeur pour faire passer le mât et les haubans de Moby. Je vise bien le milieu de l’espace où faire passer le mât et nous entrons dans le bassin de la V&A Marina, où Moby va séjourner environ 3 semaines.

Passage sous le Pont Bascule, ouvert à moitié

Le lendemain, le « South-Easter » est bien là, il souffle à plus de 50 noeuds avec des rafales encore plus fortes. Je regarde les fichiers en repensant à notre navigation. Nous sommes satisfaits d’avoir su saisir les opportunités permettant d’effectuer ce passage d’une traite. Finalement, nous avons eu des conditions moins difficiles que bien des bateaux plus lents ayant progressé par étape. Etre rapide à la voile s’avère dans ces conditions un atout majeur, qui nous a permis d’être tactiques dans la construction de notre trajectoire, tirant le meilleur parti des conditions météo changeantes. Nous avons traversé trois océans avec Moby, et notre catamaran est devenu un formidable allié en qui nous avons confiance et dont nous connaissons bien le potentiel.

Moby, V&A Marina, Cape Town

Prochaine grande navigation : la remontée de l’Océan Atlantique!

 

 

  1. mus says:

    chapeau bas le navigateur
    navigation parfaite, avec un bateau rapide …c’est plus facile, mais cela ne fait pas tout !

Laissez un commentaire ; s'il est sympa, c'est encore mieux!