Traversée Atlantique retour-2-Des Bermudes aux Açores

Après une escale assez courte mais bien agréable, comme toujours, c’est la météo qui dicte le moment du départ. Même à la fin du printemps, la traversée de l’Océan Atlantique Nord demande une surveillance continue de la situation météo et de son évolution. Le temps sur  cette zone de navigation est directement influencé par la position et  la pression de l’anticyclone des Açores, et la route suivie par les dépressions qui se succèdent tous les 2 ou 3 jours. Pour résumer, en partant des Bermudes, il faut aller chercher le régime des vents d’Ouest un peu au Nord, puis rester bien dans le Sud des dépressions et faire route vers l’Est dans des vents et une mer maniable. Les prévisions sur la zone sont très fiables à 4-5 jours, car les services météorologiques Américains et Européens mettent beaucoup de moyens pour la surveillance du temps sur l’Atlantique Nord.

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Départ des Bermudes, le samedi 19 mai à 14h

Un grand soleil et un léger vent de secteur Est, comme attendu, sont au rendez vous dès la passe de Saint Georges franchie. Nous hissons la grand voile et le code 0. Une fois les moteurs arrêtés, nous pouvons faire route au 035°, à environ 70° du vent, et parer les nombreux récifs qui s’étendent sur près de 10 milles au Nord-Est des Bermudes. Moby approche la vitesse du vent, soit presque 6 noeuds.

Vent léger mais progression satisfaisante

Nous ignorons combien de temps le vent va tenir, car la fiabilité des prévisions météo lorsqu’il est prévu entre 2 et 7 noeuds de vent reste incertaine. Nous prenons tout ce qui peut être pris, car nous savons qu’il nous faudra l’aide du moteur à un moment ou un un autre dans les prochaines 36 heures, le temps de rejoindre 34° de latitude Nord, où nous serons sur la face Nord de l’anticyclone.

Mer à peine ridée et grand soleil


L’hydrogénérateur est remonté, car il ne produit pas assez de courant à faible vitesse

La fin d’après-midi est agréable, les Bermudes disparaissent derrière l’horizon. Nous croisons quelques bateaux de pêche et doublons un voilier sur la même route que nous. Joli coucher de soleil, nous sommes accompagnés par un banc de dauphins joueurs.

Le vent se maintient en début de nuit, mais il semble s’essouffler un peu, descendant souvent à moins de 5 noeuds. Nous progressons toujours sous voiles, mais cela demande beaucoup de petits ajustements dans les réglages, d’autant plus qu’un fond de houle de Sud-Est vient perturber leur gonflement.

Dimanche 20 mai :

A 2 heures du matin, le vent tombe entre 2 et 4 noeuds, et de fait, notre vitesse passe en dessous de 3 noeuds. Il nous faut l’aide du moteur pour continuer à progresser. En effet, le vent ne devrait pas changer de façon significative à l’endroit ou nous sommes avant au moins 48h. En revanche, à seulement 60 milles au Nord-est de notre position, il devrait se renforcer dimanche soir. Il faut donc progresser au minimum à 4 noeuds pour espérer attraper  ce « train » de vent qui nous permettra de refaire route vers l’Est.

Objectif : sortir de l’anticyclone

Le moteur est donc démarré à 2h15, et conservé jusqu’à 4h. Puis une nouvelle risée qui tient jusqu’à 6h45 et moteur à nouveau. Je sens que cela risque d’être le menu de la journée, cette alternance voile et moteur. A 9h, le vent, toujours faible tourne au sud, ce qui nous donne un angle au vent de 120°, le gennaker vient donc remplacer le code 0.

Code 0 le matin…


…suivi de l’envoi du gennaker

Le soir venu, le bilan de la journée n’est pas si mal : à peine 5 noeuds de moyenne, mais moins de 5 heures de moteur, en comptant celles de la nuit. Au coucher du soleil, les cirrus bien visibles dans l’Ouest me  confirment l’approche l’approche du front prévu pour demain. Autre signe, le baromètre qui chute de 1 hPa toutes les trois heures depuis midi.

La situation générale sur l’Atlantique Nord n’est pas simple depuis quelques jours et les différents modèles de prévisions divergent à plus de 4 jours .Les fichiers font état d’au moins 2 dépressions dont le centre pourrait descendre à moins de 40°N de latitude au moment où nous approcherons des Açores. Notre stratégie sera donc de ne pas monter plus au Nord que le 36°N tant que nous ne serons pas à moins de 400 milles des Açores et avec une bonne prévision météo à court terme.

Lundi 21 mai :

Le vent nous a lâché en milieu de nuit, de minuit à 3h du matin. Nous avons donc roulé le gennaker et mis un moteur en route pour assurer notre progression. Puis à 3h, il a de nouveau été possible de progresser sous voile, le vent s’étant établit au Sud-Ouest pour 8 noeuds environ. La pression continue de baisser lentement, nous sommes donc passé sur la face Nord de l’anticyclone. La météo du matin confirme qu’une zone de hautes pressions secondaires est située au Nord de l’anticyclone des Açores. Entre ces 2 centres HP, une petite zone dépressionnaire et un front. Les routages indiquent de le traverser pour rejoindre le flux de vent d’Ouest au nord . Je ne suis pas de cet avis, car je pense qu’un passage est possible entre les deux zones de hautes pressions, en restant au sud de la dépression et du front associé, et en profitant donc de l’étroite bande de vents d’Ouest, qui fait une petite centaine de milles de large. Le seul risque est de tomber dans du vent plus faible que les 15 noeuds prévus. En revanche, en suivant le routage, nous traverserions le front, pour nous retrouver au près pendant 18h ensuite, puis nous prendrions plus de 30 noeuds d’Ouest-Sud-Ouest dans le corps de la dépression puis 25kt de Nord-ouest après le passage du front froid. Je passe sur toutes les manoeuvres de voiles qui vont avec, la pluie, les creux de 3m et les 12°C de température de l’air après le front! Tout ça pour gagner entre 6 et 12 heures à l’arrivée, non merci!  Je privilégie le confort et la tranquillité, autant que possible.

Depuis ce matin donc, nous passons à la vitesse supérieure sur Moby. Après 2 jours en première, on passe en seconde, en faisant une route vers l’est à 6-8 noeuds dans un vent au 240° qui se renforce un peu en cours de journée. Cela fait toujours du bien de voir le bateau avancer après deux journées de calme.

En milieu de journée, pause dans la baisse de la pression, nous sommes calés sur l’isobare 1023 hPa et faisons route vers l’Est. Dans l’après-midi, nous empannons pour faire route BB amure vers le Nord Est, afin de nous recaler vers le nord et garder au moins 12 noeuds de vent. A 18h30, notre latitude est de 34°30’, nous pouvons à nouveau empanner et aller vers l’Est.

photo satellite le 21 mai 20:15 UTC

La mer s’agite en début de nuit. Cela est dû à l’effet du vent sur un courant contraire et dure une bonne partie de la nuit. Ce courant contraire atteint 2 noeuds par moment et cela se ressent sur notre progression.

Mardi 22 mai :

Nous sommes enfin sortis de ce courant contraire et faisons route à l’Est entre 8 et 9 noeuds sur le fond. La mer s’est allongée mais la taille des vagues est en nette augmentation, sans doute à cause des vents forts qui ne sont qu’à 300 milles sur notre arrière bâbord. J’attends impatiemment de pouvoir charger les fichiers météo de 12h UTC, car je vais prendre de gros fichiers, pour toute la zone jusqu’à l’arrivée et pour 7 jours de prévisions. En effet, par souci d’économie de data, j’ajuste la taille  de la zone et la durée des fichiers grib (en règle générale, je choisis un fichier permettant de nous projeter à 3 jours que je prends matin et soir, et toutes les 48heures, je charge un fichier plus gros, couvrant l’ensemble de la zone, jusqu’à la destination et sa date estimée).

Le vent frais n’est plus très loin devant

Nous empannons bâbord amure à midi, avec l’intention de poursuivre le bord jusqu’à 35°30’N, ce qui doit nous positionner au mieux pour l’arrivée du vent fort de Sud Ouest demain. Continuer plus vers le nord, c’est risquer d’avoir du vent trop fort, et si nous empannons trop tôt, la direction du vent ne sera pas assez Sud-Ouest pour faire route vers la destination.

Nous avançons assez bien l’après-midi, la mer est croisée, avec des vagues de SW et une houle de NW, mais le bateau passe bien. Nous arrivons à 35°N un peu avant le coucher du soleil. Devant nous se dresse une barrière de nuages pas très engageante. Je ne serais pas étonné qu’un cumulonimbus puisse se cacher dans la masse. Dilemme, que fait-on? Et bien on évite, donc empannage et route à l’Est. Nous pourrons toujours surveiller l’évolution de ces nuages en début de nuit car la lune est avec nous jusqu’à 2h du matin.

Bulletin du soir, je suis satisfait d’avoir choisi la route Sud

Vers 23h, le vent tourne plein ouest. Conséquence, notre route diverge de plus en plus des Açores. Pour parfaire le tableau, le courant nous dépale aussi vers le sud.

A 1h, nous décidons d’empanner pour retrouver le bord le plus rapprochant. La grosse masse d’hier soir ne nous barre plus la route, mais quelques nuages restent à négocier. A leur passage, de grosses fluctuations de vent, en force et direction mais nous pouvons toujours avancer vers notre but. En revanche le vent se met à mollir jusqu’à 7-8 noeuds. La mer est trop agitée pour que les voiles restent gonflées, nous nous trainons tout le reste de la nuit à moins de 5 noeuds de vitesse.

Mercredi 23 mai :

Le vent se relève avec le jour. Il vient du 240° pour 10 noeuds, tout juste assez pour gonfler la GV et le gennaker avec la mer qu’il y a, mais nous faisons route vers le Nord et il n’y a aucun doute ce matin que la brise va fraichir en cours de journée. En altitude, le ciel est pommelé, en plus de quelques cirrus et plus bas, du strato-cumulus fractus. Ce sont les signes de l’approche du front.

Ciel pommelé

A 8h30, nous atteignons 35°20’N, c’est suffisant, j’estime que nous sommes (après beaucoup d’effort) très bien placés par rapport à la dépression qui nous rattrape, pour empanner et nous préparer pour un long bord, peut-être de 3 jours vers l’Est tribord amure.

Sur cette nouvelle amure, le bateau glisse mieux, car les vagues nous arrivent de l’arrière. Le vent forcit graduellement le matin, il est établi à 15-18kt en milieu de journée. Moby commence à accélérer et part au surf sur les petites vagues.

Alors que nous terminons tout juste le déjeuner, un peu avant 14h, une risée à 22 KT, nous accélérons et au moment où le bateau ralenti sur la vague devant, nous entendons un bruit de déchirure, et voyons notre Gennaker se déchirer sur toute la longueur du guindant, puis passer à l’eau. Il chalute le long de la coque bâbord : nous intervenons immédiatement et réussissons à le ramener assez facilement sur le trampoline. Pauvre gennaker ; il n’a pas démérité sur ce tour du monde, nous tractant vaillamment sur plus de 15000 milles, soit un tiers de la distance. Il était pourtant passé en voilerie en Martinique pour une remise en forme, avec changement complet du galon de guindant.

Gennaker déchiré


Récupération du gennaker, assez facile heureusement!

Après l’incident, nous établissons le solent devant, car le vent doit forcir dans la soirée et n’ayant désormais plus de gennaker, je décide de ménager le code 0.

Nous progressons bien tout l’après-midi, l’angle au vent de 145° est parfais pour bien glisser. La mer se forme et s’organise, il y a peu de courant pour la contrarier.

Temps dégagé en soirée, notre route est parallèle au front, dans son Sud

Le temps est plus dégagé que prévu, les nuages sont sur notre arrière bâbord dans le Nord-Ouest, mais ne semblent pas nous rattraper. C’est vertueux d’aller vite devant une dépression, car on conserve plus longtemps du temps maniable, ce qui permet de bien se positionner. Dans les conditions que nous avons, tout en maintenant 10 noeuds de vitesse, nous sommes en mesure d’ajuster notre route de-10° à +40°, soit un décalage latéral de près de 100 nautiques en 12h si besoin.

Jeudi 24 mai :

Le début de nuit s’est bien passé pendant le quart de Bénédicte, bon vent, belle mer et clair de lune. Je ne suis pas sorti une seule fois de mon  lit pendant mon repos, c’est le signe que les conditions sont stables et faciles. Le contraire de la nuit précédente ou j’étais sur le pont toutes les 30 minutes pendant mon repos.

Nous passons dans la nuit les « Corner Seamount », une zone de montagnes sous-marines qui s’étend sur une centaine de kilomètres. Le sommet le plus haut de ces montagnes est très proche de la surface, à seulement 6 mètres de profondeur, alors que le fond de l’océan est à plus de 4000m dans la zone. Nous passons à 20 milles au Nord de ce  haut-fond.

Ambiance nocturne à la table à carte

Le vent forcit graduellement pendant la nuit. Sa montée est lente et progressive, mais bien confirmée par l’anémomètre, qui peut nous renseigner sur la vitesse moyenne du vent sur 1, 5, 10, 30 minutes ou 1 heure. A ce train là, le 2° ris dans la grand voile sera nécessaire avant le lever du jour. Alors je décide de ne pas repousser la manoeuvre, je préfère l’anticiper un peu même. Je réveille Bénédicte, nous nous équipons, gilets, lampes. Je suis au pied de mât, et Bénédicte est dans le cockpit, à l’écoute et chariot de grand voile, et à l’éclairage de la voile. En 10 minutes l’affaire est réglée. La vitesse moyenne baisse d’un demi-noeud, pas plus, mais le gain en confort est appréciable.

Passage à la vitesse supérieure


Lever du jour, le 24 mai

Au lever du jour, je découvre un temps de force 6 classique, il y a encore de beaux trous de ciel bleu, le bateau file. C’est l’heure de prendre la météo : pas de changement significatif depuis hier soir pour ce qui nous concerne, mais la dépression s’est encore creusée et est prévue à 973 hPa dans 24h. Nous sommes loin dans son Sud et attendons un vent moyen de 25 à 30 noeuds, mais les rafales pourront atteindre 40 noeuds. Le plus fort devrait nous passer dessus en fin de nuit prochaine. Bien content d’être resté sur une route très Sud. Je sais qu’il y a beaucoup de voiliers partis des Bermudes 3 jours avant nous, presque tous sont montés au Nord chercher les vents d’Ouest, ils vont être servis!

La dépression nous rattrappe, mais le temps devrait rester maniable à notre latitude

Sur Moby, on se prépare quand même pour du vent fort. L’intérieur est rangé et les objets susceptibles de bouger sont calés. Victor est monté me repasser le hâle-bas du troisième ris, qui avait glissé au départ des Bermudes en hissant la grand voile. Je suis content de pouvoir compter sur lui pour ce genre de manoeuvre, cela m’évite d’y aller moi-même entre le losange et le mât. Il est fort probable que le 3° ris soit pris avant la nuit prochaine.

Milieu de journée, le vent tourne vers le Sud-Sud-Ouest, le front chaud de la dépression gagne du terrain sur nous. Nous sommes en route directe vers Florès, à 140° du vent. La mer se lève toujours, déjà 2 bons mètres de creux, Moby part au surf à plus de 20 noeuds, cela faisait longtemps que nous n’étions pas allés si vite. Vitesse moyenne de 10,5 noeuds sur le fond depuis ce matin.

16h, le vent continue à monter sur l’échelle de Beaufort pour atteindre le haut de force 6. C’est le moment de prendre le 3° ris. Le vent apparent est inférieur à 20 noeuds, la manoeuvre est facile, même si ça reste impressionnant d’être en pied de mât quand le bateau part en surf à 18-20 noeuds. Une fois le 3° ris pris, nous allons à peine moins vite qu’avec les 2 ris. Le vent peut monter, on a de la marge maintenant.

Peu de temps après, nous rattrapons un monocoque de 14m du nom de Gaia Soul. Il nous appelle à la VHF pour prendre des nouvelles de la météo. Je lui donne les infos de ce matin et convient de le rappeler vers 18h, lorsque j’aurai récupéré les derniers fichiers. Gaia disparait vite dans notre sillage car nous allons presque 2 fois plus vite. La mer parait de suite plus forte en voyant de près un autre bateau, qui remet une échelle à la hauteur des vagues. Je les estime à 2m en moyenne, avec de temps à autre un train de quelques vagues de 3m. Il est facile de les sous-estimer car lorsque je suis debout au poste de barre, mon oeil est à 3m50 de la surface. Lorsque je tente de l’appeler 2 heures plus tard avec une météo actualisée, Gaia est déjà hors de portée VHF.

Nous doublons Gaia, lui aussi sous 3 ris

Nous sommes entre 10 et 12 noeuds, le monocoque à seulement 6 noeuds disparait vite dans notre sillage

La nuit de jeudi à vendredi est très agitée, comme nous nous y attendions. Le vent n’est pas si fort, il souffle avec régularité entre 25 et 28 noeuds, mais la mer est dans tous les sens. A bord, il faut bien se tenir, car les mouvements du bateau sont assez imprévisibles. Nous sommes sous toilé pour le vent, mais il ne serai de toute façon pas possible de dépasser les 8-9 noeuds, avec tous ces creux et bosses désordonnés.

Bulletin du soir

Vendredi 25 mai :

Quand le jour se lève, vers 5h du matin (nous sommes toujours restés à l’heure des Bermudes), le temps est clair devant, en revanche lorsqu’on se retourne vers l’Ouest, le ciel est bas et noir. C’est le front qui est à notre poursuite. Il va certes plus vite que nous, mais comme il se décale vers le NNE, nous avons espoir de tenir toute la journée à courir devant. Des quatre routages issus de la météo du matin, 3 font route vers le Nord-Est, pour se faire dépasser par le front, puis se retrouver au recching puis au près bâbord amure en attendant 24h le retour des vents de Sud-Ouest avec la dépression suivante. Le 4° routage, basé sur les fichiers américains GFS, voit une possibilité de faire route plein Est, en conservant les vents forts de Sud-Ouest plus longtemps. Puis ce vent baissera, mais normalement pas sous les 10 noeuds, avant de se renforcer à nouveau avec la dépression suivante.

Lever de soleil sur mer agitée

Je choisis la dernière option pour sa simplicité : nous resterons tribord amure et il n’y aura qu’à adapter la toile pour la force du vent. Les autres options vont nécessiter beaucoup de manoeuvres, du près, des virements, puis des empannages et l’incertitude du vent en force et direction au passage du front. En plus, de l’autre coté du front, l’air est prévu à 14° alors que du coté sud l’air est toujours à 22°C.

A midi, les conditions de mer se sont arrangées, les vagues sont toujours de l’ordre de 3m, mais elles sont maintenant plus longues. Le vent semble aussi avoir passé son maximum et baisse doucement. Je décide sans trop attendre de larguer le 3° ris, aussitôt, Moby regagne en tonus et notre vitesse moyenne prend près de 2 noeuds. Tout l’après midi, nous filons devant le front et il ne semble pas gagner trop de terrain sur nous. A 18h, nous avons toujours un vent du 215° pour 22 noeuds et nous filons à 120° du vent, droit vers l’Est à 10 noeuds. Notre bateau cible de routage nous avait un peu distancé ce matin, mais c’est à notre tour de lui grapiller quelques milles cet après midi.

Un autre bateau rattrapé, réel celui-là, un voilier de 12m, Rubis Rose, que nous voyons sur l’AIS. Il est sur la route directe vers Flores, à moins de 5 noeuds. Nous le passons dans son sud, sans le voir car il est à 7 milles de nous et la visibilité ne dépasse pas les 5 milles. Je tente un contact VHF à 2 reprises, pas de réponse.

Ciel toujours sombre dans le Nord-Ouest


Nous croisons un Tanker

Le front à lentement glissé vers le Nord est en fin d’après-midi, quelques rayons du soleil percent la couche nuageuse, puis le soleil apparait entre les nuages quelques minutes avant de se coucher. La lune est déjà bien levée, elle sera bien utile cette nuit pour veiller au grain, car quelques gros cumulus et cumulonimbus sont visibles à l’horizon. La mer s’est encore assagie en fin de journée, la nuit s’annonce plus reposante que la précédente.

Grains dans notre Sud

Le vent commence à baisser au coucher du soleil, mais la proximité de grains, plus quelques éclairs plus distants nous incite à la prudence et à conserver nos 2 ris pour l’instant. Dès 22h, le vent baisse significativement, notre vitesse est passée à 5-6 noeuds, or il faut continuer à avancer si on ne veut pas se faire engluer dans la bulle de vent faible qui enfle derrière nous.  Nous larguons donc le 2° ris, puis le 1° dans la foulée, la vitesse remonte à 8 noeuds.

Samedi 26 mai :

A 1h du matin, lorsque je prends mon quart, le vent a encore mollit un peu. Nous pourrions hisser le code 0 et passer à la vitesse supérieure, mais nous repoussons la manoeuvre au lever du jour, dans environ 4 heures. A 6h15, le code 0 est en l’air, il était temps car je sens que la zone de calme nous rattrappe par derrière.

Nous nous trainons toute la matinée entre 5 et 6 noeuds. Vers midi, un grain se rapproche, le vent tombe complètement. Je démarre un moteur pour m’extraire du grain sur son coté Sud, bonne pioche car 15 minutes plus tard nous accrochons la risée d’une douzaine de noeuds qui nous ouvre une porte de sortie vers l’Est. Le moteur est coupé, et nous filons à 9-10 noeuds en accompagnant le grain, à environ un mille dans son Sud. Cette accélération nous permet de raccrocher au train de vent qui nous avait dépassé. Nous nous déplaçons à la même vitesse que le petit système météo qui nous entoure. Pendant 2 heures, nous avons la molle aux trousses, les calmes nous suivent à moins de 2 milles! La transition est beaucoup plus compacte que sur les cartes météos, qui montrent une zone de transition d’une dizaine de milles entre calmes et vent de 10 noeuds, la ou nous sommes, cette transition se fait sur moins de 1 mille, et est évidente à l’observation.

Ne pas se faire rattraper par la zone de calmes! Notre route est proche du routage GFS, en vert

L’après-midi se passe bien, les calmes ne sont plus visibles derrière et le vent du 210° varie entre 11 et 14 noeuds. Nous progressons un peu plus vite que le routage, car le vent est légèrement plus fort que prévu. Le ciel s’est bien dégagé, plus un seul nuage en vue à 18 heures.

Nous roulons le code 0 à 22h, pour la nuit, car le vent a encore un peu fraichit. C’est presque pleine lune, la nuit s’annonce agréable, car les conditions sont d’une grande stabilité et il est peu probable que nous ayons la moindre manoeuvre à faire, contrairement aux 2 nuits précédentes qui n’ont pas été de tout repos.

Dimanche 27 mai :

Nous avons maintenu plus de 9 noeuds de moyenne cette nuit, et ce malgré un courant contraire de 0,5 à 1 noeud. La météo du matin est dans la lignée de celle de la veille, et les fichiers des différentes sources convergent, signe que la situation météo se clarifie. On peut commencer à regarder notre ETA avec une fiabilité correcte. Nous venons de décider d’aller directement vers Horta, sur l’ile de Faial, car de forts vent de Nord-Est sont prévus après notre arrivée, pour mercredi et jeudi. Par ces vents d’Est, le mouillage de Porto Lajes sur l’ile de Flores est très exposé et nous ne sommes pas sûr d’avoir une place dans le port. Mieux vaut donc pousser 120 milles plus loin vers Horta, nous reviendrons à Flores lorsque le temps sera meilleur. Notre ETA pour Horta est pour le mardi 29 mai en milieu d’après-midi. Cette arrivée coïnciderait avec le passage du front, cela veut dire que la rapidité sur cette fin de parcours sera une grande vertu, car le vent doit tourner au Nord puis Nord-Est et Est assez vite après le front. Nous espérons pouvoir éviter du louvoyage sur les derniers milles!

Un banc de dauphins nous accompagne pendant plus de 15 minutes en nous offrant un beau spectacle ; ils sont une quinzaine dont deux particulièrement joueurs.

C’est toujours un plaisir de voir les dauphins jouer avec le bateau

La navigation est bien tranquille toute la journée, le 1° ris est pris à 14h, à part ça, rien à signaler. Les milles défilent, à 16h, nous passons sous la barre des 400 milles avant Horta.

Le ciel se charge de nuages vers le Sud-Ouest, ils vont probablement nous apporter la force Beaufort supplémentaire attendue pour la nuit prochaine. En fait non, et vers 19h30 nous larguons le 1° ris car le vent a un peu baissé et adonné. La météo du soir confirme un vent de 15 à 18 noeuds pour la nuit. Vers 22h nous roulons le code 0 car le vent refuse un peu. Très bonne progression toute la nuit, mer assez courte, pas très confort, mais l’essentiel c’est de se rapprocher du but car les milles sont plus faciles à engranger de ce coté ci du front.

Lundi 28 mai :

Le vent a encore fraichit en fin de nuit et nous prenons le 1° ris dans la grand voile à 6h du matin. Nous ne sommes plus qu’à 280 milles de Horta et pour la troisième fois sur cette traversée, la vitesse est importante car elle nous permet de conserver le vent de Sud-Ouest plus longtemps.

Petite baisse du vent vers midi, nous larguons le ris, puis à 15 heures, nous hissons à nouveau le code 0 car le vent à pris 20° à droite.

A la météo du soir, il s’avère que le front arrive beaucoup plus vite que prévu, son passage étant en  fin de nuit vers les 4 heures du matin. En l’espace d’environ 2 heures, le vent va tourner du Sud-Ouest au Nord-Nord-Est en passant par l’Ouest. Nous sommes sensiblement dans l’Est de Faial, notre trajectoire va donc s’incurver vers le Nord-est lorsque le vent va commencer sa rotation, puis nous empannerons pour terminer sur un long bord de recching bâbord amure.

En attendant nous faisons marcher au mieux et gardons le code 0 autant que possible. En fin de journée, les nuages s’amoncellent derrière nous, je pressens que le front est plus rapide que les prévisionistes météo.

Le ciel s’assombrit, le front gagne du terrain

Le vent se maintient entre le 220° et le 250° jusqu’à 1h du matin puis mollit rapidement en passant à l’Ouest. Nous ne tardons pas à empanner car le vent frais se trouve maintenant dans notre Nord, alors autant aller à sa rencontre. Comme le vent a faibli et que nous prenons désormais les vagues sur notre travers bâbord, nous ne pouvons pas descendre à plus de 130° du vent, nous progressons donc sur une route au 030°, pas l’idéal mais j’espère que ça ne va pas durer. Je me trompe, la transition dure près de 3 heures et c’est seulement vers 4 heures du matin que la bascule arrive. Notre progression sur la route a été moyenne pendant cette transition, mais la bonne nouvelle, c’est que le décalage opéré vers le Nord va nous donner un angle au vent très confortable et rapide vers l’arrivée, dès que le vent sera établi au Nord.

Mardi 29 mai, arrivée à Horta, Faial :

Le jour s’est levé et Moby file à vive allure, au vent de travers. La mer est belle et la glisse parfaite. De nombreux voiliers apparaissent sur notre écran AIS, ils sont une petite dizaine sur notre avant tribord, entre 10 et 20 milles devant, sans doute des bateaux de l’ARC Europe, partis 4 jours avant nous des Bermudes. Le front arrive tout juste sur eux, nous bénéficions donc d’un meilleur vent (plus fort et moins serré) et passons à leur vent, presque à une vitesse double de la leur. Bientôt nous apercevons la côte rocheuse de l’ile de Faial, très sombre et escarpée qui se dégage sous la couche nuageuse.

Faial en vue


Punta Castelo Branco droit devant

Nous visons la presqu’ile de Castelo Branco en sachant qu’une fois ce cap franchi, nous rentrerons dans le dévent de l’ile pour les 6 derniers milles. Pas de doute, les hauteurs de Faial, culminant à plus de 1000m, créent une zone sans vent sur toute la côte Sud.

Côte sud de Faial


Entrée dans le port de Horta

Nous démarrons les moteurs et profitons de ces calmes pour ranger le bateau. Moins d’une heure plus tard, nous rentrons dans le port de Horta. C’est encombré d’arrivants de transat, plus une place à quai ou au ponton. Nous mouillons l’ancre dans le port. Moby est de retour en territoire Européen. Petit coup d’oeil sur le GPS de la VHF, dont le waypoint est calé sur Brest depuis notre passage du Cap de Bonne Espérance : 1198 milles seulement!

  1. Bernard le Stum says:

    Quelle perf de 3 ans et quelle belle aventure familiale!
    L’essentiel est de participer, MERCI donc pour nous avoir permis d’être en quelque sorte à vos côtés.
    Bons vents et bel avenir.
    Bravo Moby!!

    Bernard Le Stum

  2. senk says:

    bonjour,
    j’adore vos explications météo. c’est très enrichissant.
    merci.
    bon repos lors de cette escale.

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