Traversée Atlantique retour – 3 – Des Açores vers Kinsale, Irlande

En cette mi-juin, le fameux anticyclone des Açores porte bien son nom car il est centré à quelques dizaines de milles seulement dans le Sud-Ouest de l’archipel. Les prévisions météo le voient quasi-stationnaire pour les quinze prochains jours, avec une dorsale s’étendant vers la France et le Sud de l’Angleterre.

Cela veut dire que les vents seront très faible sur les îles des Açores ainsi que sur l’axe de la route directe vers Brest. Le régime des vents d’Ouest est repoussé au Nord de l’axe Açores – Pays de Galles, le centre des dépressions passant au niveau du Nord de l’Ecosse.

La date limite pour quitter les Açores avec une chance de toucher du vent assez vite est le 16 juin. A partir du 17, les calmes s’étendront sur plus de cent milles nautiques vers le Nord. Cela nous obligerait à de nombreuses heures de moteur pour aller chercher les vents d’Ouest. En partant au plus vite, et en mettant cap au  Nord, nous devrions pouvoir progresser sous voiles et nous échapper des griffes de l’anticyclone. Mais je pressens que même si notre destination est Brest, j’envisage déjà une route qui nous ferait passer vers l’Irlande. 

Samedi 16 Juin

Nous quittons le mouillage de Praia, sur l’ile de Graciosa, de nuit à 1h du matin. Le vent oscille entre 3 et 5 noeuds, mais nous espérons qu’il va se renforcer un peu une fois dégagés de la côte. Nous hissons la grand voile et le code 0 et conservons un moteur afin de gagner au plus vite quelques milles vers le Nord.

route vers le NordLe temps se dégage vers 10h. Le vent gagne 2 à 3 noeuds, c’est bien car cela confirme notre sortie du coeur de l’anticyclone, mais il change aussi en direction en adonnant vers le sud-ouest, et cela ne fait pas notre affaire. Nous ne pouvons plus utiliser le gennaker, car il n’a pas encore été réparé, et l’état de la mer par rapport au vent ne permet pas encore de porter le spinnaker. Nous n’avons donc pas d’autre choix que d’incurver notre route vers le nord-ouest en attendant que le vent forcisse pour hisser le spinnaker. 

A 14h le spinnaker est hissé.

Le vent gagne lentement mais régulièrement quelques noeuds. La progression est satisfaisante tout l’après-midi, bien en accord avec le routage météo. A 18h, le vent est établi à une douzaine de noeuds. Nous recevons la mer par le travers bâbord, ce n’est pas très agréable car le spinnaker a tendance à déventer et demande plus d’attention. 

La météo du soir est conforme. Pas plus de 17 noeuds de prévu, augmentation lente du vent jusqu’à demain matin

Nous décidons de garder le spi pour la nuit. 

Dimanche 17 Juin

A minuit, 17 kt, nous affalons le spinnaker et envoyons le code 0. Bonne décision car la mer devient agitée et surtout les vagues nous viennent par le travers. 

La nuit est d’un noire d’encre. Pas une étoile. La  fraicheur humide nous saisit : pas de doute, nous sommes bien dans l’Atlantique Nord. Le lever du jour découvre un temps couvert, de Strato-cumulus bien soudés. La mer reste agitée et le temps se découvre peu à peu.

Des dauphins nous rejoignent, un moment dont personne à bord ne se lasse. 

Ils sont particulièrement joyeux et actifs

Les dernières prévisions météo nous confirment qu’il faut continuer de faire route vers le Nord pour ne pas se retrouver dans les calmes de la dorsale qui s’étend vers la Bretagne. 

Vers midi, nous déportons le Code 0 sur la coque BB car le vent prend du Sud. Le temps alterne soleil et banc de brume : la couche de stratus est visiblement très fine.

Vers 14h, la mer devient moins hachée et Moby commence à bien glisser. Nous attentons la météo de 12UTC pour définir le moment de l’empannage.

La météo favorise toujours de monter vers le Nord, bâbord amure, au moins jusqu’à demain matin. Le vent doit monter graduellement vers 22-25 noeuds moyen, rafales à 30. En fin d’après midi, nous prenons le 2° ris puis remplaçons le code 0 par le solent juste avant la nuit. Nous accusons une perte de vitesse dans cette configuration sous-toilée, mais si les prévisions sont justes, c’est la toile qu’il nous faudra en milieu de nuit, alors autant anticiper la manoeuvre et être tranquille ensuite.

Lundi 18 juin :

La nuit s’est bien passée, avec une route moyenne au 015°, le temps est resté principalement couvert, mais quelques courtes éclaircies nous ont laissé voir un ciel bien étoilé. La mer a grossi un peu mais reste bien maniable, compte tenu que nous la prenons sur notre travers bâbord.

Au lever du jour, il bruine, la visibilité est inférieure à 2 milles nautiques. Le vent est sensiblement moins fort que prévu mais la pression est en baisse constante. J’attends avec impatience de découvrir les fichiers météo de 6h UTC, pour voir ce qu’il advient de la petite dépression secondaire sensée se former en arrière du front. Quand les fichiers tombent, je les étudie en détails : il devrait pas y avoir de gros changement pour les prochaines 24h. Nous allons empanner en milieu de journée, pour faire enfin provisoirement une route directe vers Kinsale. Notre retour à Brest s’accompagne donc bien comme je le pressentais d’une escale en terres irlandaises. 

En revanche, les prévisions au delà de 24h sont très différents de ceux de la veille : la dépression secondaire va se former en arrière du front mais devrait se combler en moins de 24h, car elle se fait avaler par un anticyclone se trouvant au sud du Groenland qui gonfle rapidement en se déplaçant vers l’Est. Il doit atteindre l’Ouest de l’Irlande dans 3 jours, c’est à dire le 21 juin. Les fichiers GFS et ECMWF divergent beaucoup au delà de 36h, cela m’incite à relativiser la situation. On verra demain dans quel sens tout cela va évoluer!

En attendant, sur le court terme, c’est empannage dans les heures à venir et route au 060° pour environ 24h, jusqu’au moment où le front nous dépassera.

Nous décidons d’empanner à 11h15. Alors que je suis devant, sur le trampoline, à larguer le barber de solent, je me fais surprendre par 2 paquets de mer, à 10 secondes d’intervalles. Je suis trempé, je peste car je n’avais pas jugé utile de mettre mon ciré et mes bottes! En plus elle est bien fraiche l’eau de l’Atlantique par 47°N/27°W, une quinzaine de degrés maximum.

Maintenant que nous sommes tribord amures, nous recevons les vagues de derrière et le bateau glisse mieux, plus confortablement. Nous réussissons même à gagner quelques degrés au Nord de la route directe. Nous sommes partis pour un long bord tribord amure.

Mardi 19 juin :

Le vent continue de forcir régulièrement : le 3° ris est pris peu après minuit et le solent roulé de 5 tours, ce qui nous permet d’avancer très confortablement à 150° du vent. La visibilité reste faible ou nulle toute la nuit, rendant la veille constante et fatigante. L’arrivée de l’aube est bien appréciée, d’autant plus que le plafond bas se lève un peu et permet de voir à 1 ou 2 milles.

A partir de 9 heures du matin, le ciel s’assombrit derrière nous, signe que le front est proche. 

Le vent monte d’une force et les rafales atteignent 40 noeuds.

En 30 minutes, le vent effectue sa rotation vers le Nord-Ouest puis baisse sensiblement.

 

A midi, le vent passe sous les 20 noeuds. Je largue le 3° ris mais dois le reprendre quelques dizaines de minutes plus tard lorsque le vent passe au Nord en fraichissant à nouveau.

Le passage du front avec la saute de vent du Sud-Ouest au Nord rend l’état de la mer forte et croisée. C’est rare de rencontrer une variation aussi brutale du vent au passage d’un front. En trente minutes, le vent à tourné de 130°et une heure après il est quasiment à 180° de direction initiale! Il est impossible d’avancer à plus de 7 noeuds dans ce véritable champ de mines. Il nous faut garder le bateau sous-toilé et choquer les voiles pour avoir le minimum de vitesse. 

Mercredi 20 juin :

Retour aux conditions anticycloniques!

La mer s’est rangée progressivement au cours de la nuit. Il a enfin été possible d’augmenter un peu la vitesse. Au lever du jour, les 2 ris sont largués. Le vent souffle à une douzaine de noeuds et nous faisons route au près bâbord amure, à 50° du vent. Le temps est couvert et humide, la température ne dépasse pas 14°C en milieu de journée, ce qui donne une sensation de froid auquel nous ne sommes plus habitués.

La météo du soir change un peu la donne, en prévoyant l’arrivée d’un centre de hautes pressions venu du Groenland, se décalant vers l’Est et qui doit enfler et ralentir en approchant l’Ouest de l’Irlande. Il va générer des vents contraires et assez faibles sur notre route et bien ralentir notre progression vers Kinsale qui est encore à 400 milles.

Jeudi 21 juin :

Les bonnes nouvelles du jour : mer calme et soleil, même si il fait toujours frais. Le vent est très faible et sa direction nous oblige à tirer des bords pour rejoindre l’Irlande. Les informations météo ne sont pas très convaincantes, les fichiers ne sont pas d’accord sur la position du centre de l’anticyclone à échéance de 24 heures. Je préfère ne pas miser trop sur une option et choisis de rester tirer des petits bords sans top m’éloigner de la route directe. Le gain sur route est faible, nous ne sommes pas habitués à ça sur Moby, mais le moral de l’équipage est au beau fixe. Ca ne bouge pas, on mange bien et les activités de divertissement sont nombreuses, comme ici Arthur au chaud devant un bon film. 

Arthur devant un film L’école est finie à bord, mais les occasions ne manquent pas pour s’instruire. Ici Loïc explique le naufrage du Titanic.

Le coucher du soleil est superbe. 

Vendredi 22 juin :

Le vent s’est maintenu toute la nuit. Voyant le vent commencer à baisser et craignant de trop me rapprocher du coeur de l’anticyclone, vers 2 heures du matin, nous virons de bord pour faire route au Sud-Est. Le début du bord est frustrant car le vent refuse et nous faisons parfois route au 160°. Mais j’essaye de croire dans les prévis météo qui indiquent une sensible rotation des vents à proximité du 50eme parrallèle Nord. C’est ce qui se passe vers 4 heures du matin. Nous retrouvons enfin un gain acceptable vers la destination.

Au matin, le vent est du 075°/11KT, nous progressons bien, même si le capot s’est levé et que nous tapons parfois dans les vagues. Le vent mollit et la mer devient plus calme dès le milieu de matinée. Le soleil brille, ce qui vient réchauffer la température du bord, qui était tombée à 12°C au lever du jour. La journée se passe agréablement, sous un long bord bâbord amure vers le Sud-Est.

A 18h, le vent tourne de quelques degrés vers l’Est. Tribord devient l’amure favorable et pour la première fois depuis longtemps nos étraves pointent vers la destination. Cela fait toujours plaisir sur le moment, même si nous savons bien que l’évolution du temps prévu pour la nuit va une nouvelle fois nous contraindre à tirer des bords.

Samedi 23 Juin : 

Lorsque je prends mon quart à 2 heures du matin, nous sommes toujours au près, à 50° du vent tribord amure, cap sur Kinsale. Le vent a molli de façon régulière en nous rapprochant du coeur de l’anticyclone qui est maintenant centré dans l’Ouest immédiat de l’Irlande. Tant que les conditions nous permettent d’avancer à 5 noeuds, nous continuons sur ce bord. A 4 heures du matin, il est temps de virer, pour ne pas risquer d’être encalminé. C’est reparti pour un recalage dans le Sud-Est, qui devrait durer quelques heures, jusqu’à retrouver un vent d’une dizaine de noeuds. 

Au lever du jour, nous croisons un voilier de 18m, MATSYA, qui n’a pas comme nous la patience de tirer des bords et fait route sous grand voile et moteur à 7 noeuds.

La journée s’annonce aussi belle que la veille, avec l’impression que la température se radoucit sensiblement ; peu-être pourrons nous passer un peu de temps dehors sur le pont aujourd’hui?

Les côtes irlandaises approchant, j’ai consulté ce matin les cartes des courants de marées le long de la côte Sud. Flot et jusant se font sentir assez loin au large et nous commençons à voir leur effet sur  notre navigation.

Le vent  d’Est oscille entre 6 et 8 noeuds toute la journée et nous continuons notre route vers le SW de l’Irlande au près tribord amure. Un contrebord de presque 3 heures le matin pour profiter d’une légère rotation à gauche du vent.

Certes nous n’allons pas bien vite, mais nous savourons le plaisir de la navigation tranquille à la voile. Nous avons la visite de deux pigeons voyageurs qui profitent de se reposer sur notre bateau quelques heures.

Nous leur donnons de l’eau et quelques miettes de pain.
Une fois reposés et rassasiés, ils nous quitteront et s’envoleront vers l’Est en direction de l’Europe. D’ou viennent-ils et où vont-ils? Nous ne le saurons pas.

Encore une belle fin de journée et un joli coucher de soleil sur l’Atlantique.

A 20h, nous passons sous la barre des 100 milles de l’arrivée et le vent s’évanouit presque complètement avec la tombée de la nuit. Heureusement, la mer est d’huile, sans la moindre houle, ce qui n’arrive pas si souvent.

Cela nous permet de toujours progresser à 4 noeuds vers notre destination. Nous n’envisageons pas une seule seconde utiliser le moteur, qui viendrait troubler le charme de la nuit. La lenteur de notre progression est toute empreinte de sérénité, et tout le monde à bord savoure ce calme d’une navigation à la voile, paisible. 

 

Dimanche 24 juin

Le vent s’est maintenu entre 2 et4 noeuds toute la nuit et nous avons bien progressé. Une heure avant le lever du soleil, j’aperçois sur notre avant bâbord l’éclat du phare du Fastnet.

Le soleil se lève sur une mer d’huile, le vent est complètement tombé et nous contraint à faire une heure de moteur.

Quand la mer se ride à nouveau, il nous reste 45 milles à parcourir pour contourner the Head of Kinsale, ce qui nous prend presque 10 heures.

La côte est magnifique, ces baies, ces caps, ces couleurs!

Au fur et à mesure que nous nous rapprochons de la côte, nous ressentons la chaleur de la canicule qui règne sur l’ouest de l’Europe depuis quelques jours, comme nous le démontrent ces irlandais en slip de bain!

A notre arrivée au ponton à 17h, il fait encore 28°C! Nous retrouvons la vieille Europe, même si ce n’est pas encore le continent, cela commence à sentir la fin du voyage…

  1. Clerc didier says:

    Merci pour ce vécu.
    C’est la route que nous devions prendre à notre retour mais nous avions filé sur Gibraltar .

  2. jeanfrançois says:

    merci pour ce bon rapport de navigation ,
    a tres vite pour de nouvelles aventures !

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