Cela fait plusieurs jours que nous surveillons de loin la tempête tropicale formée le premier mai au nord-Est des Fiji. Elle est inhabituellement tardive, la saison cyclonique étant censé se terminer…. début avril-et nous sommes début mai! Cela est d’autant plus étonnant qu’un cyclone, COOK, est déjà passé tardivement sur le Vanuatu et la Nouvelle Calédonie il y a moins d’un mois :
Le 3 mai, la tempête tropicale pend la forme d’un cyclone, et est nommée : Donna devient une menace sérieuse pour la région.
Dans l’expectative d’un cyclone, il y a deux solutions : s’abriter dans une marina, ou dans un trou à cyclone. Les marinas de Nouméa étant bondées, nous pensons au trou à cyclone de la Baie de Prony, distante de 35 NM de l’île des Pins où nous nous trouvons.
Le plus souvent niché au coeur de mangrove et au fond d’estuaires, un trou à cyclone permet de s’abriter du mauvais temps, en particulier de vents cycloniques qui peuvent tourner de 360° en quelques heures, et aussi de la mer qui ne peut rentrer grâce aux méandres de la rivière. La végétation très résistante des mangliers (connus aussi sous le nom de palétuviers), qui plantent solidement leurs racines mi-aériennes/ mi-aquatiques dans les fonds, permet qu’on s’y amarre si nécessaire, et fera protection en cas de montée des eaux barométrique. Les fonds sont en général d’excellente tenue.
Cependant, nous ne sommes pas trop inquiets pour nous même ni pour Moby, car les eaux autour du sud de la Nouvelle Calédonie sont « froides », pas plus de 25°. Or un cyclone a besoin d’eau chaude pour puiser son énergie : à moins de 26°-27°, il perd de sa puissance.
Après avoir vécu plusieurs années à l’île Maurice, où nous habitions en bord de mer et avions aussi un bateau, nous avons connu de très nombreuses alertes cycloniques, et un seul cyclone nous a véritablement touché avec des vents supérieurs à 200km/h : Dina, en janvier 2001, qui avait fait beaucoup de dégâts, matériels et humains. Ce sont donc des phénomènes que nous connaissons, en particulier Loïc par son métier de pilote de ligne. Nous savons qu’il faut toujours se préparer au pire, car au delà de la force d’un cyclone, c’est sa trajectoire qui dira la force et la direction des vents à un point précis. Il existe aussi une part d’incertitude quand à la trajectoire exacte de ces phénomènes.
Loïc suit donc de très près la météo sur les sites spécialisés, et nous décidons le 5 mai de quitter notre mouillage de l’île des Pins pour la baie de Prony, où se trouve l’un des meilleurs trou à cyclones de la région.
Le cyclone Donna est encore loin, mais nous venons de passer 8 jours très tranquilles à l’île des Pins : nous sommes contents de bouger, et avons l’idée de tester le mouillage cyclonique de Kaori Baie ou du Carenage, « au cas où » , puis d’aller explorer le reste de la baie de Prony qui offre de nombreux mouillages, balades à terre dans des lieux historiques de peuplement, des point de vue en hauteur, des cascades et baignades en rivière etc….
Prony est surtout un terminal de minerai, avec un très grand port, d’où vont et viennent les chargement de minerai, en particulier de nickel.
A notre arrivée, déjà 4-5 bateaux sont au mouillage, un dans le bras de rivière de la Baie des Kaori, les autres dans celui du Carenage.
La couverture gsm n’est pas bonne, alors pour récupérer la météo, nous avons trouvé la parade : 2 fois par jour, j’active le partage de connexion de mon iphone, je l’enrobe dans un petit sac, et nous le montons en haut du mat pour une meilleure réception : et ca fonctionne!
Nous avons aussi toujours notre téléphone satellite avec lequel nous prenons les fichiers GRIB.
Finalement, le lendemain, 6 mai, nous décidons de rester dans la baie de Kaori. En effet, le cyclone s’intensifie, passe en catégorie 4 et sa trajectoire s’infléchit vers la Nouvelle-Calédonie.
Rester à Kaori nous permet de plus de « sécuriser » notre mouillage : étant arrivés les premiers, nous avons choisi ce qui nous semble être le meilleur emplacement, à l’embouchure même de la rivière.
La situation météo est particulièrement inhabituelle pour un début mai : il s’avérera que Donna est le cyclone le plus fort jamais enregistré au mois de Mai dans la zone SW Pacifique. Il passera brièvement en catégorie 5 dans la journée du 8 mai!
Nous prenons notre mal en patience pendant ces quelques jours d’attente avant de savoir quelle trajectoire et quelle force aura le phénomène, et s’il nous touchera ou pas.
Le matin nous commençons par un bon petit-dèj qui traine un peu, puis nous montons l’iphone en haut du mat pour récupérer de la météo, et prendre des nouvelles de la France : nous sommes en en effet en pleine campagne présidentielle, entre les deux tours!
Puis nous continuons avec 2 heures d’école, histoire de prendre un peu d’avance.
Après le déjeuner, c’est relax, nous bouquinons, regardons des films parmi le millier de notre médiathéque.
En fin de journée, nous allons aussi aux bains des Kaoris, accessibles seulement à marée haute : c’est une source d’eau chaude naturelle. Il y a des restes de volcanisme en Nouvelle-Calédonie!
A 5mn en annexe, en amont de notre mouillage, il nous faut zig-zaguer entre les méandres de la rivière,
et les bancs de sable
jusqu’à atteindre un ponton.
C’est par là!
Nous sommes impressionnés par l’aménagement de la source.
Un véritable jacuzzi naturel! Bon, l’eau est plutôt à 32-33° qu’à 35-36°, mais c’est quand même sympa pour se délasser en fin de journée,Les enfants se défoulent en perfectionnant leurs roulades sous-marines et nous restons une bonne heure à barboter .
Nous remontons aussi un peu plus haut observer les chutes d’eau. Tout cela serait encore plus spectaculaire sous le soleil, mais nous n’aurons pas cette chance : en 7 jours à Prony, et nous ne verrons pas un seul coin de ciel bleu!
Le 8 mai, Donna est à son pic d’intensité : cyclone de classe 5,avec une trajectoire qui nous passe droit dessus.
Il a une forme assez parfaite de cyclone, avec un oeil bien marqué.
Mais il reste encore 48h avant l’arrivée du phénomène, qui devrait diminuer en intensité à mesure de sa descente dans le sud.
Tous les jours, la pluie s’intensifie un peu plus, laissant au début 30mn de répit entre les grains, puis 15mn, puis seulement 5mn à la fin. Nous finissons donc pas aller et revenir de la source sous la pluie.
Alors on s’équipe! Même sous la pluie, les enfants sont très motivés par le bain des Kaoris.
Nous sommes aussi séduit par la beauté des lieux, sauvages à souhait.
La mangrove est magnifique, même sous le ciel gris.
Ici, un petit bras de rivière caché…
Et sur les mangliers et les rochers, on découvre des huîtres!
Ici, un rayon de soleil qui transperce nous offre un mémorable arc-en ciel.
Le 9 mai, Donna perd de sa puissance : sur les images, son oeil a disparu.
Sa trajectoire s’incurve vers le sud, et il accélère sa descente, droit sur le sud de la Nouvelle Calédonie, entre l’île des Pins et Prony où nous nous trouvons.
Heureusement, le phénomène va beaucoup faiblir, et repasser en « simple » tempête tropicale quand il va nous toucher.
Côté cuisine, j’aimerais me dire : « Tiens, si on en profitait pour cuisiner un peu plus, faire des gâteaux? ».
Mais non, car les réserves de produits frais s’amenuisent… je n’ai plus d’oeufs, presque plus de beurre, plus de fruits non plus, et quelques rares légumes esseulés…Nous n’avions pas prévu de rester si longtemps en baie de Prony, il nous faut donc «tenir» une grosse semaine sur des réserves de 3-4 jours.
Alors je jongle avec la cuisine du placard, comme ces fougasses au fromage ou au chorizo qui permettent un plat unique de pic-nic avec de la farine, de l’eau, un filet d’huile d’olive, et une poignée de fromage râpé, de chorizo, de jambon de montagne, des câpres, d’olives ou de tomates séchées….
Et pour changer des pâtes (au pesto, aux champignons, à la sauce tomate, ….), et de la pizza au thon/anchois/câpres/poivrons, j’ai aussi dans mon escarcelle :
– la salade de pois chiches (avec un poivron, une tomate coupé en dés, et une vinaigrette au massala),
– la salade de lentilles agrémentée d’une carotte râpée et d’un assaisonnement cumin-paprika
A la fin de la semaine, le frigo vraiment vide…
Et Donna dans tout ca? Cela fait 5 jours que nous attendons ; d’un jour à l’autre , les prévisions de trajectoire changent.
La pluie s’intensifie, pour ne former qu’un rideau épais.
Cela ne nous empêche toujours pas d’aller nous relaxer à la source des Kaoris… de plus en plus équipés!
Le mercredi 10 mai, Donna est prévu de passer le lendemain sur les îles Loyauté, à l’Est de la Grande Terre.
Nous nous préparons donc pour la nuit : les vestes, les lampes frontales, les gilets de sauvetage, les lampes de pont au cas où il nous faudrait manoeuvrer.Finalement, Donna va toucher de plein fouet les îles Loyauté, en se désagrégeant au passage, revenant au stade de dépression tropicale intense, puis modérée.
Bizzarement, dans la nuit, nous sommes réveillés vers 2h du matin, par… le silence. En effet, le vent est tombé, la tempête tropicale s’est essoufflée. Le lendemain, jeudi 11 mai le temps se découvre.
Nous attendons la levée de l’alerte cyclonique pour lever l’ancre et nous diriger vers Nouméa. Que cela fait du bien de revoir le ciel bleu et le soleil!
Nous nous donnons 3 jours pour préparer le bateau, récupérer les derniers colis, faire les appros et dire au-revoir aux copains : nous dînons à bord du bateau de Carole et Antoine, le lendemain, c’est un BBQ chez Michel et Peggy , et enfin, Nancy vient gentiment nous déposer un colis qu’elle a réceptionné pour nous.
Nous reste tout juste le temps de faire un tour au marché pour faire le plein de fruits et légumes non réfrigérés, qui se conserveront donc bien, puis un gros plein au supermarché, en particulier des fromages : camemberts, fourme d’Ambert, buche de chèvre…. pas sûr que l’on trouve un si bel achalandage avant longtemps!
Les cales sont bien remplies, les pleins d’eau et de gazoil sont faits!
Nous restons sur notre faim, d’un séjour mitigé en Nouvelle-Calédonie. Notre départ tardif de Nouvelle-Zélande aura écourté un séjour que nous aurions aimé plus long : Loïc avait très envie de faire le tour complet de la Nouvelle-Calédonie : 4-5 semaines eurent été nécessaires pour monter vers Belep via la côte Ouest, et redescendre vers l’île des Pins via les îles Loyauté et la côte oubliée. Nous n’avions que 3 semaines, qui finalement ont été bien tronquées par le cyclone Donna, qui nous aura immobilisé 8 jours à Prony.
Ce sont là les aléas du voyage en bateau, qui nous rend tributaires de la météo! Il nous faudra donc un jour revenir en nouvelle-Calédonie, qui mérite bien 2 mois qu’on s’y arrête! La belle surprise aura été de revoir des amis de longue date comme Michel et son épouse Peggy, Carole et son mari Antoine, et de faire la connaissance de Nancy et Thomas, amis chers de mon frère.
En quittant Nouméa, la providence nous fait trois beaux clins d’oeil :
- Nous croisons notre ami Michel sur son JPK 10.80, qui passe la ligne d’arrivée en tête de la régate du week-end.
- cette tortue qui sort sa tête comme pour nous dire au-revoir
- et dans la passe de Dumbéa, nous croisons la route d’un paisible lamentin, à quelques mètres de notre étrave, qui semble nous dire « Revenez, vous n’avez pas tout vu! »-désolé, pas de photo à vous montrer, la rencontre aura été furtive…
Alors c’est décidé, un jour, nous reviendrons…
marie ange le rochais says:
superbe aventure !